13 Le premier santonnier

 

Le premier santonnier

par Françoise CONTAT

 

C’était, comme papa, un homme qui portait un trésor dans ses bras.

Il était une fois, un homme de la terre, un potier.

Un home qui malaxe et tourne la glaise qui dresse et met en forme qui laisse agir le soleil et décore avec la main et l’émail. Un homme qui nourrit le carbone pour maîtriser le feu.

Nous étions au moment des fêtes calendales. Celles qui marquent la fin de l’hiver et préparent les hommes, comme la terre pour la saison des semailles.

En prenant une boule de terre, pour la poser sur le tour de bois dont il n’avait pas encore lancé la roue de sa jambe  musclé, il s’arrêta. Il pensait à ce qu’il désirait le plus : un enfant.

De cris et des rires montaient de la ville. Un soleil hivernal réchauffait Marseille. Une ribambelle de “minots” courait, malgré le froid sec, dans la ruelle proche en se poursuivant.

L’homme saisit l’argile souple. Il forma une boule qu’il fit tourner longtemps dans ses mains, les yeux perdus dans son rêve. Il la réchauffa. Bientôt elle ne fut plus qu’une motte de terre cassante.

Alerté par une longue pratique, ses mains le ramenèrent à la réalité. Il jeta la motte inutile et plongea à nouveau sa main dans le bac où, sous la pièce de jute humide, dormait la terre vierge.

Il ramena une masse de la taille d’un œuf de pigeon, puis fit tourner son tabouret vers sa table de travail baignée de lumière.

Insensiblement, entre ses doigts experts, apparut un visage. Plongeant à nouveau dans la réserve humide il constitua un corps aux membres trop courts. Il avait fait un enfant.

Cet enfant, que sa femme espérait elle aussi depuis leur mariage.

Cet enfant, c’était le sien. Il avait les yeux de sa femme et leur douceur. Il avait un corps robuste comme lui.

Il prit le petit être humide et, le tenant au creux de ses mains, Il se mit à prier pour que son couple soit béni et que cette année nouvelle lui apporte le même trésor.

Alors il lui sembla entendre une voix qui emplissait l’atelier et en même temps son cœur :

- Où est sa mère ?

Le potier façonna une femme et, la positionnant à genoux, la plaça à côté de l’enfant. Elle ressemblait beaucoup à sa femme.

La voix à nouveau se fit entendre. Elle paraissait émaner de lui et aussi hors de lui. Elle dit encore :

- Où est son père ?

Le potier tourna et retourna la terre. Il est toujours plus délicat de se représenter. Il plaça l’homme debout face à la femme près de l’enfant. Cet homme-là lui ressemblait comme un frère.

Heureux, le potier resta à contempler son œuvre. La voix se taisait.

Il laissa aller son regard au-delà de son poste de travail par la fenêtre qui donnait sur l’entrée du port.

De lourds navires, chargés d’étoffe et d’épices se croisaient dans la passe.

L’homme regarda le couple qu’il avait créé et l’enfant endormi et murmura :

- Pour toi, fils de la terre, je veux les parrains les plus sages, venus des contrées lointaines, qui commercent avec nous depuis l’antiquité; nos amis de par la mer intérieure ceux de Méditerranée.

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Je veux le fondeur de peuples. Le seul qui sache plier le genou devant l’innocence. Aux cheveux et à la barbe blanche symbole de respect. Celui que ses pas ont conduit au confins du monde et qui en est revenu le regard plein de ses merveilles.

Je veux le roi vainqueur, du pays où croissent les épices. Le porteur de semence fertile. Celui qui domine la ruse du singe et fait sienne la sagesse du lion. Qui à la peau cuivrée et porte en lui l’arabe et le sémite, le musulman et l’israélite.

Je veux le roi des éléphants et de tigres qui a en lui jeunesse et force. Qui a la peau noire et maîtrise les peuples d’Afrique par le sceptre d’ivoire mais en laissant chanter les tapis.

A toi, enfant de la terre ils devront apporter :

La chasse d’argent sertie de rubis où dort l’or pur.

L’urne d’ébène où se cache la résine odorante de myrrhe.

Le ciboire d’ivoire d’où s’élèvera en volutes bleues l’encens parfumé.

Je ne sais qui portera quoi, car le messager vaut le message.

Le potier regarda son œuvre et son visage se porta vers la mer.

Les vagues se creusaient délicatement sous le vent, soulevant une écume légère. Quelques goélands planaient dans l’air froid.

Il sentit alors sur ses épaules le poids du regard de Dieu. Il venait de le poser un instant sur le pays de Provence et l’homme qui l’avait senti décida de ne jamais l’oublier.

Depuis ce jour chaque année à la même époque il a sculpté des petites statues d’argile qu’il a peintes de couleurs vives.

Chaque année. Il a rajouté ses amis et ses voisins, des visiteurs venus de loin. Il a fait vivre ses personnages dans l’environnement qu’il connaissait sans oublier les bêtes qui vivent près des hommes.

L’art du santon était né, le premier santonnier savait qu’il ne serait pas le dernier.

FIN

 

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