Le cousin de Jean des Pierres

LE COUSIN DE JEAN DES PIERRES

Un conte de Françoise Contat

à Pierre Jakez Hellias, respectueusement

Si vous venez en Provence vous verrez peut être un vieil homme qui s'appelle Maximin. Il est vieux mais pas du troisième âge ou flamboyant comme on dit maintenant. Non il est vieux parce que les années se sont acharnées sur lui. Il est, comme un arbre qui pousse dans cette terre  dure avare de son eau, cette terre de Provence. Il est noueux et sec, robuste et fier.

La première chose que l'on voit, chez lui, c'est son port de tête. Sa tête n'est pas supportée par ses épaules comme chez beaucoup de personnes. Sa tête à l'air de s'accrocher aux nuages et de faire partie intégrante de ciel. Comme la colline de pierres blanche fait partie de la terre et sa couverture de pins, toujours verts, fait partie du ciel.

Il se promène dans la broussaille comme chez lui, débusquant un lièvre ou une grive juste pour le plaisir, car son fusil il l'a accroché au-dessus de la cheminée le jour où son chien est mort. Il est comme ça Maximin.

Tous les jours il descend au village, son pas ne change pas régulier, calme, ni pressé, ni anxieux. Il va faire ses courses puis remonte dans sa maison au cœur de la colline.

Un jour je me suis dit que cet homme devait avoir un secret pour traverser notre siècle en ayant l'air de ne pas y vivre. Je l'ai suivi et j'ai découvert ce secret.

Chaque matin quel que soit le temps Maximin se lève avant le soleil et sort de chez lui. Si le vent ne souffle pas il prend sa musette et fait une courte promenade dans les collines. Si le vent souffle son travail commence. Il part à la rencontre des "bancaou". Ces murs qui étagent nos collines et permettent, en retenant l'eau, de cultiver: oliviers, cerisiers, légumes ou céréales. Ces murs, de pierres sèches, faits par les hommes pour les hommes.

Car comme son cousin Jean des Pierre Maximin est né avec le don; celui d'entendre le chant des pierres dans les murs quand le vent  y passe.

Quand les pierres dans un mur sont à leur place elles chantent et tout le mur chante. Le vent entraîne avec lui une douce musique qui se propage dans la vallée.

Alors Maximin s'assoit face au soleil, le dos contre la chaleur du mur et reste à rêver.

Parfois il ouvre sa musette prend sa gourde et boit un peu d'eau. Celle de son puits de pierre creusé par son grand-père.

Quand les pierres dans un mur ne sont pas à leur place elles pleurent et tout le mur pleure. Alors Maximin écoute le mur. Il le longe, l'oreille aux aguets. Plus le vent souffle plus Maximin est attentif.

Parfois il lui faut changer plusieurs pierres, les déplace les recaler. Certaines sont tombées à terre il les nettoie et les repose sur le mur.

Parfois une seule pierre fait pleurer tout le mur; Alors il la cherche longtemps tant que le vent souffle cela peut durer plusieurs jours mais il la trouve toujours. Celle-là, avant de la replacer, il lui parle, la caresse, cherche l'endroit où elle chantera le mieux dans le mur, fais plusieurs essais. Quand il s'en va, qu'il tourne le dos, le mur chante sa plus belle musique.

Parfois toutes les pierres du mur sont à terre et le mur ne chante pas, ne pleure pas, le mur est mort. Alors Maximin remonte le mur. Il cherche sa base gratte la terre de ses mains. Quelques pierres sont là, à côté, prête à reprendre leurs places, d'autres ont roulé un peu plus loin, d'autres sont cachées sous la broussaille.

Parfois un pan de mur entier est effondré et les pierres sont restées groupées, parfois il lui faut aller chercher très loin, au fond d'un vallon, la pierre qui a été entraînée par la pluie. Et Maximin fait revivre le mur. Il travaille inlassablement à rebâtir, à reconstruire.

Je ne suis pas née avec le don, mais je pars avec Maximin chaque-fois que le vent souffle. Il ne sait pas que je suis là et travaille en paix. J'écoute après son passage, le chant des murs de pierres. Je m'assoie le dos contre la chaleur du mur et me surprends à rêver. J'écoute pleurer les murs que Maximin ne connaît pas et je pleure les murs morts

Mais je sais que Maximin ne mourra pas, comme son cousin Jean des pierres un galet de mer pleurant dans son giron. Maximin est comme notre terre de Provence, noueux et sec, robuste et fier.

II s'éteindra discrètement dans son lit sachant, comme une évidence, qu’un autre héritera du don.

Son héritier, remontera nos ”bancaou” ces murs de pierres sèches faits pour les hommes par les hommes......... pour retenir l'eau.

FIN

P.S. aux professeurs des écoles : Remplacez mur par groupe classe et vous aurez une deuxième lecture.

 

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