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Le Cacaoyer (texte)

 

LE CACAOYER

Par Francoise Contat

Couverture recto copie

Il y avait, à l’orée de la grande forêt, tout près de la rive du large fleuve Orénoque, une petite cabane de branchages et de feuilles. Elle abritait une femme du peuple des hommes bruns qui s’était isolée du village au décès de son époux tombé sous les griffes de Cob le jaguar.

On l’appelait Xia.

Elle était fine comme une liane qui s’accroche aux grands arbres où s’amuse et se dispute le peuple des cimes et avait la course aussi légère que Massama, la reine des pieds agiles.

Elle connaissait le secret des fleurs qui guérissent et de celles qui donnent la mort. Elle savait reconnaitre à son parfum le miel empoisonné et prévoir le passage de la “punition”: ces fourmis dévoreuses qui ne laissent rien de vivant sur leur passage.

Elle savait écouter le chant du peuple des oiseaux et distinguer les cris de détresse à l’approche d’un prédateur comme Coalt le grand serpent d’eau ou le silence qui annonce un “Terremoto”.

Mais son amour allait au peuple des arbres. Elle à qui son mari n’avait pas donné de descendance les avait adoptés comme ses enfants.

Elle les connaissait mieux que personne. Chacun profitait de son attention. Du plus petit, caché sous le couvert des fougères ou tapi dans la mousse humide, au plus grand, dominant ses congénères, cherchant les rayons du Dieu soleil tout la-haut dans la canopé.

Chaque matin elle passait la lisière et pénétrait dans cet univers de racines et de branches entremêlées où chaque pas vous fait frôler la mort ou rencontrer la resplendissante beauté.

Elle aimait à caresser les troncs rugueux où palpite la sève. Elle enlaçait, de ses deux bras, les piliers de bois et, l’oreille collée à l’écorce, écoutait battre le cœur prestigieux de l’arbre.

Parfois elle s’allongeait, le dos sur la mousse souple d’un tronc abattu qui offre un abri au insectes, et levait les yeux vers les branches qui s’élancent à l’assaut du ciel qu’elles capturent; pour ne laisser paraître à la contemplatrice solitaire que d’infimes parties qui brillent comme des étoiles.

Elle s’attardait sur la courbe d’une feuille, la teinte d’une tige, décelant la plus petite anomalie signe d’une maladie ou d’insectes trop voraces.

Elle fouillait alors dans le sac de cuir usé qui ne la quittait pas et prodiguait au malade les soins nécessaires grâce à des baumes dont elle gardait le secret.

La forêt savait dire ses souffrances à Xia et la femme solitaire qui savait écouter, apaisait ainsi les siennes.

Un jour, elle s’éloigna plus que d’habitude, ou alors est-ce la nuit qui décida d’arriver plus vite, toujours est-il qu’elle fut surprise par le crépuscule dans une partie de la grande forêt qui lui était inconnue. Elle écarta les fougères arborescentes vers une nouvelle clarté dans la pénombre, glissant ses pieds menus dans l’enchevêtrement de racines d’un figuier étrangleur et atteignit une clairière.

Au centre s’élevait un arbre immense. Ses racines couvraient entièrement un petit monticule de terre, de roches et de pierres taillées. On aurait dit les restes d’un temple. Son tronc lisse s’élevait superbe et imposant. Ses branches, telles des flammes vivantes, couvraient l’espace laissé libre par la forêt.

Xia s’avança timidement. Elle croyait pénétrer un sanctuaire dont l’arbre serait la statue. A trois pas elle s’arrêta : quelque chose la surprenait. Gardant ses distances elle en fit le tour. C’était étrange, il manquait quelque chose, mais quoi?

Soudain elle réalisa : l’arbre n’avait aucun signe de vieillissement, aucune branche morte, aucune feuille malade, aucune lésion passée.

Reculant la jeune femme s’installa à bonne distance pour observer à loisir l’etrange phénomène. Mais la nuit qui s’épaississait contrecarra ses plans. Elle dut se résoudre à passer la nuit où elle était.

Ouvrant son manteau, elle s’installa confortablement le sac de cuir glissé sous la tête. Allongée, les mains sous la nuque, elle laissa décroître les derniers rayons du couchant à travers les feuilles de l’arbre. Les ombres s’étirèrent, fantomatiques mais Xia n’avait aucune crainte. Cob le tueur chassait dans les hautes herbes bien loin de la clairière. Elle s’endormit.

Elle fit alors un rêve étrange : Un Dieu descendait du ciel dans un char d’émeraude et s’arrêtait au dessus de la clairière, la baignant d’une lumière lunaire.

Les traits du Dieu lui rappelaient étrangement son époux tant aimé. Son cœur se serra à lui faire mal. Il s’approcha puis s’allongea près d’elle. Elle ressentit alors le bonheur de l’étreinte, et la flamme de l’amour brulât à nouveau dans ce cœur qui avait tant pleuré. Mais elle doutait, partagée entre la joie de l’extase et la douleur de la savoir perdue. Luttant de toutes ses forces elle s’éveilla.

L’homme-Dieu fut surprit de ce réveil, il se releva d’un bond et en trois pas, fut au centre de la clairière. Mais Xia avait vu la place vide et elle avait compris.

Déjà les pieds de son époux s’ancraient en terre, soulevant de leurs racines la glaise souple. Elle se leva en silence. Les jambes brunes durcissaient. Elle avança d’un pas.

Le torse prit une teinte plus sombre. Elle avança encore.

L’instant d’un éclair leurs yeux se croisèrent. Elle y vit tant d’espoir et tant de peine mêlées que d’un élan elle se précipita dans les bras qui se tendirent aussitôt pour se refermer sur elle.

Elle sentit ses jambes se perdre dans la terre tandis qu’un flux de sève l’envahissait. Sa poitrine mêlée au corps robuste disparaissait au cœur du tronc. Leurs bras s’élevèrent curieusement liés, en milliers de branches de plus en plus fines à atteindre le ciel. Ils fermèrent les yeux. Et là, de racines en étoiles, ils succombèrent à un long baiser qui scella leurs lèvres pour l’éternité.

L’aube vint. Le soleil éclaira les branches supérieures qui se couvrirent de feuilles tendres. Dans la matinée l’arbre entier bruissait de joie. Des fleurs prirent naissance aux cessions  de deux chemins de sève. Elles se développèrent blanches et parfumées, caressées par les battements d’ailes de milliers de papillons. Vers le soir de lourdes cosses brunes pliaient les branches. Le ventre de l’arbre fécondé offrait ses fruits.

Ainsi veillent les Dieux aux amours des humains, donnant récompense au delà des maux. Celle qui n’avait pas eu d’enfant, porterait désormais sur ses branches fleurs et fruits pour toujours.

Au village des hommes bruns on dit que Cob le jaguar a fait une nouvelle victime, mais ses flancs restent creux.

Il y a en Provence un petit arbre qu’on appelle l’Arbousier. Ses fleurs blanches et ses fruit rouges et sucrés, me donnent parfois à penser que les Dieux se sont penchés sur lui avec une douceur toute particulière.

Tout cela se passait il y a très longtemps sous le regard de Quault le grand aigle.

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LEXIQUE

Cacaoyer ou Cacaotier : Petit arbre originaire de l’Amérique du Sud et cultivé, maintenant surtout en Afrique, pour la production du cacao. Le cacao, met sacré des Astèques, n’était consommé, sans sucre, que par les chefs lors de cérémonies. L’arbre a la particularité de porter des fleurs et des fruits en même temps.

Arbousier : Arbrisseau du midi de la France. Son fruit l’arbouse, rond et rouge à la chair douce et farineuse, est comestible. Accompagné de miel de lavande, c’est un excellent tonique vitaminé pour aborder le froid de l’hiver. Comme le cacaoyer il est béni des Dieux car il porte fleurs et fruits dans la même saison.

Canopé : sommet des grands arbres qui abrite une faune et une flore spécifique.

Terremoto : Tremblement de terre.

Le peuple des cîmes : Singes hurleurs ou Araguantes.

Les pieds agiles. Antilopes.

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