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Le pont de Saint Bénézet

Par Françoise Contat

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LE PONT DE SAINT BENEZET 1177

La Provence cherche un chef

 

(J’ai fait des recherches, j’ai réuni plusieurs contes et quelques petites notes historiques. A vous de juger de la part réelle ou de celle qui appartient à la fable.)

 

Il était une fois, un jeune pâtre qui vivait dans le Vivarais qu’on appelle maintenant Ardèche. Il se nommait Petit Benoît et passait ses journées à regarder paître ses bêtes et à admirer son pays.

Son regard se portait vers les collines rondes aux cratères assoupis où les coulées de laves avaient créé de curieux remous. Il observait les dépôts basaltiques sculptés par les eaux torrentielles, les cascades échevelées, les roches calcinées par le feu. Il admirait les abîmes creusés par les eaux dans les murailles de gneiss ou de granit. Et la longue draperie des châtaigniers qui escaladent les pentes jusqu’à la gueule des volcans éteints.

Il regardait aussi dans le creux des vallons qui descendaient jusqu’a la plaine les amandiers poudrés de légers pétales, les cerisiers aux fruits vermeils, les abricotiers lourds de fruit dont les branches caressent le sol, les pêchers qui ne se nourrissent que de l’amour de celui qui les soigne et les oliviers bleus qui descendent vers le Midi et son éclatante lumière.

Mais, c’est à chaque orage que la passion de Petit Benoît le prenait car il avait l’amour de la course de l’eau.

En effet dès que la pluie se mettait à tomber, bien protégé dans son large manteau de lin et de peau, la tête appuyée sur ses mains croisées sur un bâton, il regardait les gouttes lourdes tomber sur le sol. Il analysait la formation des rigoles, des petites cascades, des impétueux torrents miniatures qui roulaient déjà de petits graviers et déposaient leur limon d’ocre brune jusque sur ses sabots aux guêtres de cuir clouté.

Là ne s’arrêtais pas sa passion. Quand les bêtes étaient calmes et que nul loup ou renard ne menaçait son troupeau, que le soleil faisait briller la rosée sur les herbes grasses, il descendait dans les torrents qui coupent les prairies comme une gorge de sève et il regardait le débit de l’eau. Sa vitesse, sa puissance. Il positionnait les rochers : soit pour que le courant les emporte tel fétu de paille, soit pour partager les eaux en deux coulées sauvages et ruantes. Alors si le rocher tenait il souriait et commençait le gué.

Bientôt Petit Benoît devint réputé dans tout le pays pour la qualité de ses passages à sec. Il forma alors, avec un petit groupe d’amis les compagnons pontifes, une équipe efficace qui se mit à jeter des ponts sur les rivières du Vivarais. Quand la tâche était accomplie ils repartaient tous à leurs occupations et Petit Benoît menait ses bêtes dans les prairies piquées de miles fleurs parfumées. 

Le 13 septembre 1177, le jour de ses treize ans, en plein midi, le soleil disparût et Bénezet comme on l’appelait maintenant y vit un signe du ciel. Le soleil avait en réapparaissant créé un arc-en-ciel somptueux. Voilà que Dieu lui offrait l’illumination. Le ciel avait jeté un pont jusqu’à la terre des hommes. Bénezet jetterait un pont entre le Vivarais et la Provence.

Il laissa là son troupeau et partit pour Avignon avec ses compagnons. Ils descendirent la rive droite du fleuve pendant plusieurs jours, accompagnés, dit-on, d’un ange de lumière. Enfin, un soir, au couchant ils virent les fortifications de la ville et les hautes tours crénelées piquées de cent oriflammes par-delà le fleuve large et puissant.

Le Mistral qui soufflait avec force agitait le fleuve qui semblait vivant. Il fallait traverser pour se présenter devant les serviteurs de Dieux. Bénezet s’approcha des eaux, héla le passeur. Ils montèrent tous sur le radeau de bois et de chanvre lié aux berges par de lourdes chaînes. Le fleuve était noir.

Toutes les légendes qui couraient sur son compte revinrent en un instant à la mémoire de Bénezet : Les animaux fabuleux : Drac, Tarasque, Coulobre qui dévorent les téméraires qui se penchent sur ses eaux; les tourbillons capables d’engloutir un vaisseau; les eaux opaques, épaisses qui filent plus vite qu’un loup en chasse.

Les nochers poussaient sur les rames en cadence les chaînes crissaient. Au centre du fleuve Bénezet regarda vers l’amont. Au loin l’île de la Barthelasse prolongeait son ombre noire. Un éclair zébra l’air humide et éclaira la nuit. L’orage claqua comme une grenade mûre et le jeteur de pont sût qu’il avait trouvé le lieu où poser ses arches pour franchir l’énorme masse des eaux. Le vent se calma et la pluie se mit à tomber froide et régulière. La berge plate faite de limon et de boue, dans l’anse calme du fleuve, les accueillis parmi les roseaux et les chênes. 

La cloche de l’abbaye sonna la fin des vêpres. Bénezet et ses compagnons se hâtèrent. Ils avaient juste le temps de se rendre au réfectoire pour partager la collation des moines avant Complies. Demain, après une nuit de repos, il serait à même d’exposer son projet à l’évêque pendant le chapitre.

Ils dînèrent d’un pouillot clair fait de pissenlit et de champignons puis, après l’action de grâce, ils se couchèrent dans le dortoir réservé aux laïques.

Dans le même temps il y avait en Avignon un jeune homme qui se brûlait d’amour pour une jeune femme. C’était Guillaume de Nevers, jeune noble de haut lignage, qui était tombé amoureux de la belle Flamenca de Nemours. Mais la tendre jeune femme était mariée à un vieil homme tyrannique et laid : Le seigneur Archambaud, Comte de Bourbonne-les-Bains.

Le jour de l’arrivée de Bénezet et de ses compagnons en Avignon Guillaume avait prié Dieu, en cette même Abbaye, de lui donner le moyen de conquérir l’être aimé et d’en faire son épouse. Non qu’il voulût du mal à Archambaud, mais il l’estimait indigne du bonheur de la posséder.

Au chapitre du lendemain, dans la grande salle capitulaire, Bénezet parla longuement de sa vision céleste et s’adressant tant à l’évêque, qu’aux moines et aux laïques présents. Il prononça ces paroles :

- Ames fidèles d’Avignon, peuple des papes et des saints, Dieu m’envoie en votre sainte ville et pour réunir deux royaumes : Votre suzerain légitime l’empereur Frédérique Barberousse et le roi franc Philippe Auguste Capet qui vient d’avoir mon âge. Moi Bénezet, par la volonté de Dieu, je jetterais un pont sur le Rhône pour franchir l’infranchissable.

L’évêque sceptique, se posa des questions sur la vision de Bénezet et décida de le mettre à l’épreuve. Il se dit que celui qui voulait réunir les deux berges d’un fleuve aussi grand devait connaître le secret de la pierre et celui de l’eau. Un rocher de 13 pieds de long et 7 de large gênait la circulation près de la maison de ville l’évêque vit là matière à sa réponse. Il répliqua :

- Frère Pontife qui vient au nom de Dieu montre nous ton savoir et sa puissance. Roule la pierre de la place de l’hôtel de ville au rocher des Doms qui domine le fleuve et jette là dans les eaux rebelles. Je te la donne comme première à ton édifice.

Bénezet se rendit avec ses compagnons pontifes jusqu’à l’hôtel de ville et là grâce à ses connaissances sur le levier et son point d’appui et de par la volonté de Dieu il fit rouler la pierre jusqu’au rocher des Doms où elle bascula scellant le trou des fées. La foule incrédule devint enthousiaste quand le rocher se mouilla de gouttes argentée et quand il résista à l’assaut des eaux ce fut du délire. Dieu était avec Bénezet. Mais aussi avec Guillaume de Nevers qui vit dans ce miracle la fin de sa quête amoureuse.

Le lendemain il se rendit chez le père abbé qui le connaissait pour l’avoir entendu en confession. Là il lui proposa la moitié de sa fortune qui était considérable, pour son pont et ses pauvres. En contrepartie l’homme saint devait convaincre le seigneur Archambaud, le mari de la tendre Flamenca qu’il était touché par la grâce et qu’il lui fallait prononcer ses vœux. L’abbé d’abord réticent se laissa convaincre au tintement des écus.

De semaine en semaine le père abbé découvrit dans le cœur d’Archambaud des beautés singulières. De son côté Archambaud se sentit brûler du feu de la sainteté. Ils partagèrent de longues promenades et de pieuses méditations et un an plus tard Archambaud, avec l’assentiment de sa femme, prenait l’habit. Curieusement elle n’avait fait aucune objection à cette décision et s’était pliée, en épouse soumise, au choix de son époux et demanda même, pour plus de facilités, l’annulation du mariage. Elle était une femme libre! Libre d’épouser celui qu’elle aimait déjà. Car Guillaume n’était pas resté inactif pendant cette année. Il avait fait une cour assidue à l’épouse délaissée.

Bénezet avait commencé son pont, l’évêque reçu dit-on d’un donateur anonyme, un chariot tiré par un attelage de huit chevaux, rempli de sacs d’or qu’on mit deux heures à vider et il célébra un mariage somptueux entre un jeune chevalier et une jeune femme douce et belle à la cour d’amour de Béatrix et Charles d’Anjou.

Pendant huit ans le travail s’accomplit sous la conduite de Bénezet. Il jeta d’abord deux arches en direction du centre du fleuve. Dessus l’évêque fit construire une chapelle dédiée à Saint Nicolas qui devint le patron des bateliers du Rhône. Puis deux autres arches encore dont le pied de la seconde prenait appui sur l’ile de la barthelasse alors à moitié immergée. Là comme le fleuve en tournant frappait avec violence la rive opposée Bénezet décida de bifurquer à angle droit vers l’amont pour offrir mois de prise au courant. Il jeta ainsi en quatre ans quatre nouvelles arches dressées sur des piliers aux pierres aiguisées comme des fers de lance.

Mais Bénezet ne “dansa” pas pour l’inauguration de l’œuvre de sa vie. La “ville du vent violent” avait eu raison de sa santé. Le pont fût achevé trois ans plus tard en 1188 par ses compagnons. Il fit la fortune d’Avignon et des frères pontifes à qui l’on doit aussi entre autres : le pont de Pont-Saint-Esprit, les deux ponts de Romans sur l’Isère, le pont de Saint Nicolas de Campagnac sur le Gardon.

Bénezet fût canonisé et son corps enfermé dans un sarcophage de deux pierres creusées à la tête et aux reins et cerclée de barres de fer. Il fût placé sur le pont. L’hiver de 1670 sonna le glas du précieux ouvrage la crue dévastatrice emporta tout sur son passage. Le pont s’effondra cédant une fois de plus sous les assauts du fleuve impitoyable. Les restes du Saint furent sauvés et transformés en précieuses reliques.

Le petit pâtre du Vivarais resterait à jamais dans l’histoire des hommes.

FIN

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