Les larmes de Marie Madeleine

Les larmes de Marie Madeleine

 

texte original de

Françoise Contat

 

(Les didascalies entre parenthèses ne sont pas à lire, elles ne sont qu’une indication ponctuelle pour le lecteur ou pour resituer l’action dans le contexte moyenâgeux, ou encore pour installer la mémorisation des éventuels conteurs qui voudraient raconter cette histoire.)

2015 huveaune au pont de coulon  

 

Il y a bien longtemps de cela, dans la maison forte de la Taurelle, une jeune fille prénommée Triskèle se languissait. Elle vivait recluse avec pour toute compagne une femme de charge qui, au vu de son grand âge, ne pouvait comprendre ses désirs et ses rêves.

Sa seule distraction était d’aller, toujours sous surveillance, aux sources du fleuve Huveaune. Elle y faisait ses ablutions journalières et se mirait dans ses eaux. Le fleuve naissant, courrait sur des marches de pierres larges d’une dizaine de coudées (45cm) et longues d’autant. Cette caractéristique du terrain créait de petits bassins carrés, peu profonds, où l’eau bien que courante et vive, se réchauffait vite au soleil.

Parfois elle pleurait et ses larmes de vierge se mêlaient aux eaux transparentes.

Un jour elle décida de confier au fleuve sa tristesse et son visage. Elle tressa une couronne d’osier, abondant près de la maison forte, et glissa à l’intérieur son portrait circulaire peint sur du bois. Chaque année elle offrait, un soleil d’or à Mardouk ; cette année elle lui confirait aussi, ses espérances.

Le printemps arrivait, le soleil passerait bientôt le faîte du haut mur d’enceinte et baignerait la cour close.  Durant les 12 jours de fête, elle recevrait la visite de son père et vivrait sans contrainte. Son cœur était en joie. Elle courut relire le texte sacré, gravé dans la pierre sur le linteau de la cheminé de la salle commune, qu’elle connaissait par cœur :

 

"Quand le soleil se lèvera, dans la constellation du bélier (équinoxe de printemps le 24 mars)

Tu laisseras là ton ouvrage, tes champs et tu confieras tes bêtes aux esclaves.

Expiant tes fautes, pénitent à genoux, tu prieras les Dieux.

Le huitième jour, dans le ciel immense, ils seront réunis, pour te juger

Deux fois le soleil se lèvera sur tes offrandes d’or confiées au fleuve

Le onzième jour, les Dieux décideront de ton sort et de celui de tes gens

Le douzième jour nul ne pourra, pour un an,  fléchir leur volonté."

Les jours s’égrenèrent.

Un matin enfin, sa servante l’aida à passer une longue chemise de lin blanc fraîchement cousue et une robe de dessus couleur de coquelicot. Elle brossa longuement ses longs cheveux bouclés et contrairement à son habitude, au lieu de les tresser et de les remonter en chignon, elle les lui laissa libres. Tous ces signes montraient une arrivée imminente. La jeune fille mit sur ses épaules un chaperon couleur de sable rehaussé de fourrure de loup et attendit dans la cour. Tantôt debout à marcher de long en large, tantôt assise, prostrée, le visage dans les mains. Comme un servant apportait la collation du matin, son père passa la poterne d’entée et, d’un élan, elle se jeta dans ses bras.

C’était un homme robuste à la carrure imposante. Il portait un surcot marron coupé d’une ceinture de cuir ou pendait un poignard serti de pierreries et un grand manteau de fourrure d’ours. Sa tête barrée d’une moustache touffue était couverte d’une toque en fourrure d’hermine hivernale. Au cou deux rangées de pièces d’or serties constituaient un collier précieux symbole de sa richesse. De sa large main, il caressa le doux visage de l’enfant et pensa à sa femme. Cette seule fille qu’elle lui avait donné, après quatre vigoureux garçons,  était une enfant du fleuve, née différente. Condamnée par les hommes, rejetée par l’église, il avait dû l’éloigner des peurs qui naissent de l’inconnu et la cacher, aux hommes, en ce lieu retiré.

Durant cette brève période où le seigneur Bertrand de Nans fit retraite près de sa fille, ce ne fut que rires et  échanges de tendresse. Mais Triskèle n’oublia pas pour autant, au jour consacré, de confier au fleuve son offrande.

Le soleil d’or glissa sur les eaux d’opale, fut pris par les remous et les cascades blanches, stagna contre la berge parmi les canards chatoyants et les hérons cendrés, caressa les truites aux mille couleurs qui vivent face au courant  et quitta les ombrages des grands arbres pour se retrouver en pleine lumière dans des eaux au goût de sel.

(1er jour, printemps 1250 - beau temps)

Il était un  jeune homme de bonne foi et de bon lignage qui marchait au fil de l’eau. Il était vêtu d’une chemise immaculée, dont il avait remonté les manches et d’un surcot de toile cramoisi. Il laissait courir une longue baguette de bois mort qui fendait l’eau, quand il remarqua un scintillement au creux du nœud des osiers. Piqué de curiosité il ôta ses chaussures de cuir et ses chausses de laines et entra dans l’eau pour ramasser ce qui semblait être une étoile de Balthazar. Assis au soleil sur la plage, il essuya de sa manche le décor peint. Du visage, délavée par l’humidité et écaillé par les roches roulantes, il ne restait que les yeux. Ce regard empreint de tant de détresse le toucha. Puisque le fleuve avait voulu qu’il le recueille en ses mains, il chercherait celle à qui appartenaient ces yeux.

Les fêtes de pâques s’annonçaient. On était dans la période préparatoire du carême.

Il avait fuit le château familial, car sa mère, Dame Marie De Valbelle avait délaissé sa tapisserie « historisée » sur laquelle elle travaillait depuis de longs mois, pour se consacrer à des tâches plus ordinaires.  Comme l’avait demandé la Déesse Athéna, à son aïeule, elle avait fait vider puis laver les caisses à vêtements et les coffres à livres. Elle avait demandé aux servantes de changer le foin des paillasses. Les tentures, tapis et voilages de lit, avaient été secoués et tapés et maintenant ils pendaient aux fenêtres.

Tout ce remue ménage l’énervait. Pourtant il revint dans cette effervescence.  Dans les cuisines il remplit son sac de voyage en cuir : de pain, d’une petite outre de lait d’amande et de biscuits aux épices qu’il roula dans un linge. Il passa chez l’intendant et prit, comme il était absent, quelques pièces d’argent d’une caissette cachée dans le creux d’une pierre. Il les glissa dans sa bourse et le tout dans sa poche. Le cheval n’était pas de mise en ces chemins accidenté de bord de fleuve, mais il avait de bonnes jambes et, pour l’heure, même si le printemps s’annonçait pluvieux, une belle journée ensoleillée inondait la plage et la ville de Massilia (Marseille). Les goélands argentés volaient vers le large, zébrant le ciel de leur cri strident. Il se mit en chemin son garde corps sur le bras.

Comme il laissait courir son dernier regard vers la tourelle haute du château, il vit claquer l’étendard de son père, en campagne sainte avec le comte Raimond Béranger de Provence.

Il marcha d’un bon pas jusqu’ à ce que le soleil soit haut dans le ciel. A la première fourche de chemin liquide, il s’arrêta. Les deux masses d’eaux étaient presque égales. Aucune ne prenait le pas sur l’autre. Il demanda à  Hécate de l’inspirer. Mais les déesses sont capricieuses et elle se tut. Etant déjà sur la rive droite il continua son chemin sur la gauche et remonta la rivière qui coule sur la roche en chantant sous les chênes (Le Jarret). Face à la barre de l’Etoile, il marcha d’un bon pas. Le ciel était clair et l’air chaud mais la pluie se laissait deviner à une humidité collante et froide. Il traversa les champs cultivés qui ceinturent la cité phocéenne où finissaient de dormir les légumes d’hiver. Il se rapprocha de l’eau ; le sentier serait plus étroit mais il le mènerait plus sûrement vers son but. Il traversa, à chaque trou de verdure, des parterres de violettes mouchetés de jonquilles naines. Il fit s’envoler maints passereaux aux couleurs irisées mais aucune maison ne baignait ses murs dans la rivière aux eaux dansantes.

A  la mi après midi, il but tout le lait d’amande et mangea force biscuits. La marche lui avait creusé l’appétit. C’est là que l’orage éclata. Il se mit à courir comme pour fuir l’eau froide qui pénétrait son garde corps de toile épaisse. Capuchon rabattu sur la tête, le corps plié par les bourrasques de vent qui entrainaient les gouttes d’eau dans un tourbillon, il trouva enfin un pont. Celui-ci menait à une route pavée, la route pavée à un écrin de verdure où se nichait un petit castel orné d’une tour haute.  Il heurta à la porte de chêne à l’aide d’une tête de lion en cuivre. On vint lui ouvrir, il demanda asile.

En arrivant dans la grande salle il vit, autour d’une table de banquet, des hommes et des femmes déguisées de couleurs vives qui dansaient en faisant tourner des crécelles. La sarabande était menée par deux bardes avinés qui inventaient leur propre musique faite de cris et de percussions.

« Nous fêtons le printemps revenu, en dignes héritiers des Grands Gosiers », lui dit son hôte. « Par ce joyeux carnaval nous honorons les géants qui peuplèrent la terre. Joins-toi à nous étranger. Mange et boit tout ton saoul ». 

Le repas fort avancé son hôte, éclairé sur la raison de son voyage, lui demanda à voir le portrait. Il tourna et retourna le soleil d’osier et proposa d’en extraire le petit disque de bois. Bien lui en prit car, sur sa tranche étaient gravés ces quelques mots : Je suis une des larmes de Marie Madeleine.

(1er soir et nuit (pluie)

« Tu n’es pas sur le bon chemin », lui dit son hôte. « Marie Madeleine ayant vécu dans la Baume Sainte, ses larmes descendent du mont Pilon. Il te faudra remonter toutes les rivières qui rejoignent le fleuve par la rive gauche pour trouver ta belle. Ceux de la rive droite, comme celui qui t’a amené ici, n’ont aucun intérêt. Demain je te donnerai un serviteur qui te mettra sur le chemin d’Aubagne là où il y a un pont pour changer de rive ».

(2ème jour, au matin (soleil)

Le lendemain le serviteur l’accompagna jusqu’à un promontoire calcaire d’où on pouvait apercevoir une grande partie du fleuve. Le serpent d’eau, remplissait le fond de la vallée de la végétation qui se nourrissait de son limon fertile et disparaissait sous la couverture verte. Au fond du côté des collines, la pluie de la veille s’étirait en voile de brouillard et montait des pins noircis de la vallée, vers le mont Pilon. Le serviteur désigna de son doigt la ville d’Aubagne et ses remparts, avec son château perché sur son mamelon de galets et de terre (moraine frontale). Un sentier se dessinait clairement au travers des collines ; il l’emprunta.

A la fin du sentier de terre damée, rainuré par les roues de charrettes à bras, un pont  passait le fleuve. Il acheta sur un étal dressé sur le pont un sac de noix et de noisettes décortiquées venues du Vivarais et des baies séchées.  L’eau courait au pied des murs d’enceinte. Tout en grignotant, il les longea sans entrer dans la ville. D’abord sur la droite le long des murs aveugles ; mais le fleuve devenait un cloaque nauséabond ou se répandaient les eaux d’aisance en un marécage bourbeux. Il revînt sur ses pas et délaissa les eaux stagnantes pour continuer à remonter l’eau vive sur la rive gauche.

Une autre fourche l’attendait, dans la large plaine bordée de marécages. Sur cette terre mouvante un sentier filait sur la droite, motte de terre stable dans une forêt de cannes et de joncs, entremêlés de baies sauvages aux épines redoutables.

(La légende du Garlaban)

Un jeune porteur d’herbe nouvelle à nourrir les lapins qu’il croisa ; lui raconta, en prenant une pause, qu’en ces lieux une déesse vint se perdre.

Innocente, et inexpérimentée des dangers de ce monde elle voulut poursuivre une grenouille qui l’avait amusée de ses sauts. Son pied délicat glissa sur une mousse et elle tomba dans un bourbier de sable et de terre. Plus elle bougeait plus elle s’enfonçait. Muette de peur elle n’appelait pas à l’aide. Un pâtre qui laissait paître ses brebis à la demande et somnolait dans la broussaille entendit le bruit que fait la terre quand elle mange. Craignant pour l’une de ses bêtes il se précipita. Ses gestes surs et précis, d’homme initié par la nature, délivrèrent rapidement la jeune femme de sa gangue de boue. Elle jeta ses yeux dans les siens et il fut prit d’amour pour elle. Il la souleva, dans ses bras, pour l’amener se laver dans une source proche. Elle glissa à son tour ses bras autour du cou du berger et plongea son visage contre le torse parfumé d’herbe nouvelle. Ce parfum l’enivra tant que c’est à deux qu’ils se baignèrent dans le bassin circulaire rempli d’eau cristalline. Il oublia ses bêtes et sa maison. Son bien dormait à présent au creux de ses bras. Quelques semaines plus tard elle se rendit auprès des Dieux pour demander la permission de devenir humaine, afin de vieillir auprès de son amour. Les Dieux courroucés refusèrent et la menacèrent de mort ainsi que le jeune homme. La déesse désespérée préféra taire son nom plutôt que de le trahir et accepta la sentence pour l’épargner. Ils la jetèrent hors du ciel et le roi des dieux lança son éclair pour la transformer en pierre. Des larmes inondaient ses joues. Elle était tombée juste dans le bourbier dont son amour l’avait sauvé. A cette pensée elle fit monter en elle toute la terre qui avait voulu la prendre. A mesure que son corps se solidifiait, il attira à lui toutes les roches solides du sol. Elle en prit tant et tant qu’elle devint une montagne. En levant les yeux, on peu la voir allongée pour l’éternité, regardant le ciel bien en face comme pour le défier. Cette déesse protégea la vallée, son amoureux et ses brebis, des assauts du vent du nord. Plus tard, ajouta le porteur d’herbe l’eau remplaça la roche et la plaine herbeuse laissa la place à un marécage profond. Il lui conseilla de contourner les sables mouvants perfides et de marcher jusqu’au bout du chemin.

(2ème jour, au soir et nuit (brume)

Au pied des monts brumeux aperçus le matin, la rivière qui vit près des granges (le Fauge), l’amena à un village constitué de larges bâtiments autour d’un château à deux tourelles (Gémenos). Abris des bêtes, entrepôts de fourrage et larges fontaines. Tout indiquait un lieu de pacquage, de vente de bestiaux et d’étape de transhumance.

Il poussa la porte de la seule auberge ouverte en cette saison. Une large cheminée chauffait encore la salle voutée. Le repas fait d’une soupe d’herbes sauvages et de viande bouillie était copieux et tenait au corps. Il passa une nuit paisible, au premier étage, sur la paille de la chambre commune, avec une dizaine de pèlerins.

(3ème jour, au matin (soleil)

Fais attention lui dit l’un d’eux, à la collation de prime, la rivière est sauvage et irascible. Elle tua une vierge et ne rendit jamais son corps. La pierre est encore rougie du sang de l’innocence. Je sais une chapelle et quelques maisons d’artisans. Je sais aussi qu’il y a près de la source les ruines d’une abbaye hantée. Les moniales défuntes logent dans les troncs d’arbres et les branches sont leurs bras. Elles agrippent et lacèrent les passants. Prend garde à y trouver ce que tu ne cherches pas.

Il passa sa journée en marche et en questions. D’abord dans le bourg, à chaque maison puis le long de la rivière où les masures de bois piquaient une petite plaine alluvionnaire. Personne ne reconnut le regard du portrait. En pénétrant dans la forêt où se cachaient quelques maisons de tisseuses de lin,  il avança en regardant loin devant lui par crainte des animaux sauvages. Il se prit à chanter haut et fort. C’est ainsi qu’il vit la tête de Gargantua le géant qui sortait des broussailles. Il se mit à courir mais, affolé qu’il était, il pénétra encore plus avant dans le bois touffu.  Courant, criant, il vit une croix plantée devant un petit pont de pierre et une petite chapelle. Essoufflé il trouva, auprès des pierres consacrées, à apaiser son cœur battant.

Plus tard, courageusement, il marcha jusqu’à la grande cascade et son moulin de bois et de pierre où un artisan aiguisait des outils. Plus tard enfin il but l’eau de la résurgence, fraîche et limpide, puis revint sur ses pas. D’un regard circulaire il embrassa le pré, la rivière ou des femmes rinçaient leurs toiles de lin blanchies d’urine animale et les ruines de l’abbaye. Les spectres dormaient car, pour qui est sans malice, les morts ne sont pas à craindre. Il interrogea ceux qui vivaient là sans obtenir de réponse positive et sur le chemin du retour, pria longuement avec d’autres fervents, dans la chapelle dédiée à saint Martin.

(3ème jour, fin de journée (humide passages nuageux)

Le soleil déclinait dans le ciel humide. Marchant dos au couchant pour ne pas revenir sur ses pas, notre jeune homme finissait de contourner les marécages d’Aubagne quand il aperçut un groupe de pèlerins. Se joignant à eux il se rendit au relais étape. Il y avait là un centre de peuplement important voué à Saint Jean. (Saint Jean de Garguier) Une centaine de pieds poudreux (de pèlerins) arrivaient chaque jour attiré par les eaux miraculeuses. Les Romains avaient, les premiers, aménagé des Thermes faits de larges bassins communs et de baignoires individuelles en roche beige, creusée et polie, venue de la grande falaise du bord de la mer. Ce lieu voué à Bacchus  et à Diane était devenu propriété de l’évêque de « Massillia », pour le pape Honorius III, qui en tirait de larges bénéfices. Un nouvel aménagement de bain jouxtait le premier. Il abritait des cuves de bois, couvertes d’un drap épais pour éviter les échardes que des esclaves remplissaient d’eau pour les bossus, les aveugles et les estropiés des croisades. Si la chrétienté avait influé sur les rites païens, elle n’avait pu mettre un terme à l’utilisation de « toutouro » sorte de petites trompettes en terre cuite d’Aubagne que les femmes des potiers vendaient dans de larges paniers posés à même le sol. Plutôt que de prier Saint Jean, chacun avait à cœur de s’en fournir et de souffler dedans pour faire fuir les démons.

Il était impossible que la jeune fille vive dans ce lieu si bruyant, se dit le jeune homme. De plus, jamais son soleil d’or n’aurait  pu flotter, parmi ces gens avides sans être intercepté. Il quitta rapidement la foule et passa le sommet de la colline en direction d’un castel à la façade blanche. Quand, le soleil dans le dos, il pénétra dans le sous bois ce fut comme un soulagement. A mesure qu’il descendait la sente, le soleil rasant de fin d’hiver n’éclaira plus que le sommet des grands arbres. Le reste du bois entrait dans la pénombre et dans la nuit.  Le castel à la façade blanche avait disparu dans un repli du terrain. Au loin un hibou poussa sa plainte. Le voyageur allait se résoudre à s’installer à même le sol, parmi les aiguilles de pin et les feuilles de chêne, pour dormir ; quand il sentit l’odeur d’un feu.

Marchant avec précaution, bras tendus vers l’avant, pour ne pas heurter un obstacle, il atteignit bientôt une clairière ou se dressait  un ermitage fait d’un amoncellement disparate de pierres, de bois et de chaume. Une fumée bleutée s’élevait de la cheminée et une bonne odeur de viande rôtie emplissait l’air.  Il frappa. Le vieil ermite à la robe sombre et à la peau parcheminée lui proposa un abri pour la nuit et la moitié de l’animal qui cuisait. Devant tant de générosité, le jeune homme offrit, plus qu’il ne paya, une pièce d’argent. Après le repas le vieil homme s’épancha.

« J’étais un fervent serviteur de la croix. J’ai vu Charles d’Anjou, devenir roi de Jérusalem (1246). Mais depuis mon seigneur Anselme, un des chevaliers de Robert d’Artois, est mort et le roi de France, Louis le Saint, a été fait prisonnier. (1249). Me voila aujourd’hui à braconner pour me nourrir. J’ai porté l’épée et la côte de maille mais en rentrant dans mes foyers la peste avait tué ma femme et mes enfants. Ma maison avait brûlé et mon avoir de vigne avait le mal blanc ». Plein de compassion le jeune homme fit silence. Alors l’ancien croisé le questionna à son tour. Aux explications du jeune homme sur son voyage et à ses questions il répondit. « Le « Riou », aux deux sources, qui descend de la tête de « Roussargue » et qui offre son minerai pour les armes et les armures, je le connais bien. Ces rives son habitées par des mineurs et des nécromants, bouteurs de feu, chauffeur de fer. Les femmes y sont rares. Elles sont toutes déjà en épousailles ou dans les langes. La jeune fille que tu cherches ne vit certainement pas ici. Demain tu passeras le pont et tu iras plus loin en amont jusqu’au pont de l’étoile. Surtout tu ne le franchiras pas, ainsi tu pourras continuer ta quête des larmes de la pécheresse ».  

(4ème jour au matin (grand soleil)

A la cloche de prime, qui résonna dans le vallon, le jeune homme quitta l’ermite et sa forêt. Il marcha quelque temps dans l’ombre, mais bientôt le levant passa le sommet de la montagne. Le soleil éclaira le petit pont de bois sur le « Riou » aux deux sources. Il le passa et continua son chemin. Il croisa des paysans affairés près d’un moulin à huile, des femmes tirant l’eau d’un puits clos. Il sauta sur la charrette d’un muletier et rejoignit enfin, vers midi, le pont de l’étoile.

Après une collation, faite de pommes et de noix, acheté à la taverne où il avait pris un pichet de bière ; il reprit son périple remontant les eaux nacrées dans un large vallon bordé de potagers au repos sous la couche de fumier. Parfois il quittait la berge pour grimper une roche, puis il revenait près des eaux chantantes. Son pas faisait fuir les lièvres et son chant les grives. Car pour marcher longtemps, comme les légions romaines,  il faut un pas régulier et l’aide d’une chanson rythmée. Le sentier passa du fleuve, au flan de la colline. Il serpentait à chaque vallonnement du terrain ne laissant apercevoir que le virage suivant. Le jeune homme avait l’impression d’être seul au monde mais le creux suivant du sentier amenait une bâtisse faite de hauts murs solides. Il s’arrêtait alors et parlait de sa quête. Il montrait la peinture. Mais nul ne reconnaissait la jeune fille aux yeux tristes.

Bientôt les maisons se rapprochèrent en un village serré autour de sa chapelle (Roquevaire). On entendait le chant des orgues. Personne sur le parvis. Soudain intimidé par les vibrations graves et puissantes, mais curieux de leur origine, le jeune homme entrouvrit le large battant de chêne de ce lieu voué à Saint Vincent. En cette période de Carême, tout le village était là, empreint d’une ferveur religieuse communicative. Il s’agenouilla et partagea d’une foi égale, les prières et les chants.

Au « ite missa est » l’église se vida comme de l’huile qui pénètre un linge. Il suivit les fidèles. Fatigué et ébranlé par l’émotion partagée, il demanda son chemin vers la plus proche maison de nuit. Il réserva sa couche mais il lui fallait manger.

(4ème jour, Fin de journée

La ville du rocher vert (Roquevaire) était connue pour ses peintres et ses auberges musicales. Les voyageurs y faisaient toujours halte avec plaisir. Notre jeune homme passa une des portes ouverte sur la rue principale. Une bonne odeur de vin chaud aux épices lui caressa les narines. Il s’installa à une table et commanda un repas léger. La servante lui apporta une soupe bouillante à l’ail et à l’huile d’olive où flottaient des blancs d’œuf battus et frits. Elle posa aussi sur la table des galettes à tremper à la farine de millet.

Cinq musiciens se tenaient groupés dans le fond de la salle opposée à la cheminée. Un Psaltérion, vêtu de rouge et de blanc, était au centre entouré à sa gauche d’un chalumeau aux chausses et au surcot bicolore vert et jaune et à sa droite de trois chanteuses vêtues de longues robes bordeaux. Celle qui se tenait devant psalmodiait un chant religieux. Les deux autres suivaient la voix principale et ornementaient le répertoire de digressions musicales en éventail ou de guirlandes sonores d’une vingtaine de notes. Entre chaque couplet l’homme au chalumeau portait la partition à des hauteurs vertigineuses qui vous touchaient l’âme. Le jeune homme mangea sans y penser le cœur tout empli de musique. Plus tard il alla se coucher épuisé et dormit une nuit sans rêve.

(5ème jour, au matin (vent)

Au matin, après une soupe chaude et de la purée de fèves, il s’éloigna des bâtisses.

Les bugadières (Lavandières) chantaient dans le creux de la gorge étroite, qui emprisonnait le fleuve, et leur chant emplissait l’air. Le vent s’était levé. Une bourrasque sauvage fit écumer l’eau qui entraina le cri rageur des femmes.

Tandis qu’il avançait sans les quitter des yeux, il se rendit compte que parmi elles, en bas des marches taillées dans la roche, au milieu des aménagements grecs des bassins, était une statue. C’était la représentation de la déesse du fleuve. C’était Ubelka la redouté, Ubelka la dévastatrice. Il eut une pensée d’angoisse pour le devenir de son voyage et de sa quête ; mais son courage prit le pas sur la peur et, la tête relevé, il lança sa jambe.

Le chemin sur la rive gauche était escarpé et périlleux tout au contraire celui de la rive droite serpentait en un large couloir fréquenté par les hommes et leurs bêtes, les charrettes à bras et les lourds chars de bois et de fer trainés par deux bœufs à la peau lustrée sur des muscles puissants.

Cependant dans l’ignorance qu’il était d’un pont il prit la voie la plus risquée, celle des larmes de Marie.

Une seule ferme égailla son chemin. Une grande bâtisse qui plongeait ses pieds dans l’eau. Elle y baignait surtout une énorme roue faite de métal et de plaques de bois qui entrainait une meule de pierre à moudre les grains. Le four de la servante préposée aux cuisines sentait bon le pain cuit. Il eut droit à la miche d’orge des pèlerins et s’en contenta. Pendant qu’il mangeait un valet vint le rejoindre. Quand il lui demanda, par curiosité, si rien ne bloquait parfois les palles de la grande roue, celui-ci sortit d’un tas de rebuts de bois, un soleil de rotin en disant que, depuis deux printemps, un soleil identique venait se prendre dans les pales. Notre jeune homme en eut le cœur gonflé. Le soleil d’or, quoique meurtri et sans visage, était semblable à celui qu’il avait trouvé. Il était sur la bonne piste.

Passé la ferme, il marcha seul, mais son rêve était avec lui. La pente était rude mais chaque ombre portait le regard recherché. Le vent, face à lui, était puissant mais il lui tenait tête. Il monta le chemin qui serpentait à mi pente. Parfois il passait à l’abri du vent et c’était un temps de répit. Mais la plupart du temps le vent essayait de lui arracher le bâton qu’il avait taillé pour sa marche. Partout les buissons épineux lacéraient son surcot et ses chausses de laine. Quand il passait une crête rocheuse les bourrasques malveillantes faisaient claquer les pans de son garde corps et il avait du mal à se tenir debout.

Le Garagaï, le vent qui rend fou, entrait dans sa tête, vibrait dans ses oreilles et brûlait ses yeux irrités de larmes. Ce jour là, la Sainte Croix plantée sur la montagne magique (le mont Ventoux) par l’évêque de Carpentras ne domptait pas sa puissance.

Perdu dans la broussaille il marchait toujours courbé contre le vent quand il entendit la cloche de complies comme un appel. Il leva les yeux et aperçût, dans une trouée d’arbre, le fanal brillant du châtelet d’entrée de la ville aux deux milles oboles (Auriol). Elle était sur la rive droite mais sa lumière baignait les berges d’un large pont. Il accéléra le pas malgré la fatigue qui le tenait en pensant qu’il se serait évité bien de la peine en questionnant les voyageurs sur son existence mais il se dit aussi, tout en se tordant les pieds dans la rocaille, que faisant cela il n’aurait point trouvé confirmation de son bon chemin.

La porte de la petite église était entrouverte; il y entra. A l’abri du vent froid, dans la pénombre des cierges il se glissa vers le fond d’une chapelle latérale dédiée à la Sainte Vierge. Roulé en boule à même le sol il s’endormit épuisé.

(6ème jour, au matin (vent)

Avant l’aube le curé le réveilla sans ménagement et le chassa comme un gueux. Courbant l’échine il se retrouva au pied du parvis. La rue vide longeait le fleuve, assagi par deux berges de pierre, et s’élargissait en une vaste place. Un banc de bois l’accueillit. Il y resta prostré de longues heures.

C’est ainsi que Dame Ermengarde de Bonconseil, sa marraine,  femme du seigneur maître du fond (poissons des lacs d’élevage), le trouva et le ramena dans sa maison. Les deux familles étaient amies depuis trois générations et elle avait une tendresse toute particulière pour cet enfant qu’elle avait porté âgé de quelques heures sur les fonds baptismaux. Elle l’installa dans un lit profond, sous un édredon de plumes ou il se rendormit sans un mot sous le regard tendre d’une vierge du mur peint à la fresque. Pendant son sommeil elle se rendit chez l’apothicaire pour y acheter une fiole de sirop tonique et elle dépêcha son meilleur cavalier vers Massilia.

A son réveil quelques heures plus tard ; Dame Ermengarde lui donna une chemise propre et un surcot vert de toile épaisse brodé aux emmanchures. Après  la prise du tonique et un bon repas, composé de poisson et de blé, pris avec son hôtesse et amie,  Innocent, car c’était son nom, se sentit plein de force.

Malgré les injonctions de Dame Ermengarde il voulut reprendre sa quête. Elle ne sut vers qui se tourner pour le dissuader de partir, quand elle vit passer devant la fenêtre huilée de la salle principale, le maréchal ferrant du domaine de Ventrade situé à quelques lieues. Un grand gaillard charpenté comme un chêne et qui n’avait pas froid aux yeux. Arrêté par un petit servant, il se présenta respectueusement devant elle. 

Elle proposa aux deux hommes de marcher de concert ; ainsi son protégé serait sous bonne escorte jusqu’au soir ; car elle savait la région infestée de coupeurs de bourses et de voleurs de vie. Après des embrassades et les recommandations d’usage, Innocent s’éloigna sur un dernier signe de la main.

Les deux hommes avaient délaissé  « le Merlançon », affluent de rive droite qui ne pouvait pas être une des larmes de Marie Madeleine, et dirigèrent leurs pas vers le soleil levant (l’est) et la rivière ventrue (la vède) où commençait le domaine de Ventrade.

Le vent soufflait toujours rendant la marche pénible, mais il était dans leur dos et allégeait, leurs pas, par instants. Le maitre des forges connaissait bien les bêtes des environs puisqu’il les soignait. De plus il aidait les vaches à vêler et les juments à mettre bas. Il connaissait ainsi les fermes et leurs habitants. Innocent tira le portrait de son sac. Non, l’homme n’avait jamais vu ce regard si particulier.

Au pied le la montagne sainte, Innocent laissa le maréchal ferrant à sa forge ; et entreprit le raidillon qui longeait la rivière. Il était empierré de roches coupantes et de gravillons qui roulaient sous les pas. L’eau grondait et résonnait dans la gorge profonde. Il pensa à sa mère. Six jours qu’il était parti. Que faisait-elle en cet instant. Pâques et ses préparatifs devaient l’accaparer. Son cœur se remplit de tendresse à cette pensée. Il s’asseya un moment  à même la mousse et regarda le vallon coupé par les « bancaou » ; ces murs de pierre sèche qui tiennent l’eau pour la pitance des hommes.

Inocent, laissa erre ses yeux.  Des potagers pour les fèves et les pois. Plus haut des ceps de vigne rangés comme une armée pour la bataille. Plus haut encore des oliviers qui laissaient pointer leurs jeunes feuilles vernissées. Toute cette richesse apportée par les grecs et leur savoir. Il continua à monter la pente du regard. Une nuée verte et jaune que le vent se jouait  à brasser, à pousser, à malmener dans le piaillement des passereaux et tout en haut une dent d’ivoire : la tour Chauve (la tour Cauvin).

Tandis qu’il rêvait, au château de Valbelle on s’interrogeait, on s’inquiétait. Six jours sans nouvelle. Les pages, les serviteurs, la garde, tous cherchaient Innocent. Ils avaient d’abord fouillé le château, sans succès. Ils avaient été dépêchés aux portes de la ville. Les gardiens n’avaient rien vu.  Ils avaient longé les plages de droite et de gauche jusqu’aux collines l’esprit rempli d’appréhension ; mais la mer n’avait recraché aucun corps perdu. Aucun indice, rien. Au retour des émissaires, sa mère qui venait de recevoir de mauvaises nouvelles d’Orient, se laissa aller à la détresse qui la submergeait. Elle se tordait les mains et des larmes inondaient ses joues. C’est ainsi que le messager de Dame Ermengarde de Bonconseil la trouva.

Innocent remontait la ventrue, mais de ce ventre énorme, sortait de plus en plus d’eau. Inquiet il dut bifurquer sur la droite vers un chemin à mi pente. Cette voie était large et plus agréable. De toute façon il ne pouvait pas perdre son chemin car il entendait toujours l’eau qui frappait les pierres sur le calcaire blanc. La tour Chauve émergeait de la cime des chênes et des pins et il se guidait sur elle.

Il avait dû se tromper à un coude du chemin, car celui-ci devenait de plus en plus étroit. Il était envahi de ronces et de buissons aux feuilles comme des griffes de rapaces. Innocent faisait soudain face au levant. Il passa des glacières désertées par les esclaves du froid. Au hasard, il prit un sentier sur sa gauche et vit un signe de Montjoie (un cairn). Il respira mieux ; Enfin ! Il savait qu’il lui suffirait de suivre ces signes pour atteindre un village ou du moins un groupe de maisons. Pourtant le sentier continuait vers un ravin sombre, hors du temps, planté de figuiers décharnés à l’ombre bleutée de brume. Pas un souffle d’air pas un bruit ; la forêt dense se refermait sur lui. Il arriva devant une grotte. Il allait rebrousser, chemin quand il entendit un chant et, instinctivement, se tapis dans un épais feuillage.  L’odeur entêtante des fleurs jaunes de coronille arbustive, lui monta à la tête. Le bois, (bois de la Lare) voué à la divinité protectrice des âmes des ancêtres défunts, voulait le garder.

Une dizaine de jeunes filles à la beauté envoûtante sortirent de la grotte (grotte des Infernets (enfers)) et se glissèrent dans le sous bois comme des nymphes. Vêtues de voiles légers et couronnées de fleurs elles avançaient en chantant. Toujours tapi, craintif, il les observa. Quatre d’entres elles portaient une statue de la déesse Ostara. Elles l’installèrent sur le sol sableux et s’assirent en cercle autour d’elle. Puis elles commencèrent  à confectionner des arceaux de branches décorés de fleurs fraîches qu’une des jeunes filles leur proposait dans un grand tablier qu’elle tenait par les oreilles tant il était rempli. Une fois leur ouvrage fini, elles couchèrent la statue sur un lit de fougères et piquèrent les arceaux fleuris, de part et d’autre de son corps de pierre, pour constituer un ciel de lit. Elles se reculèrent  toutes pour admirer leur réalisation quand un cri inhumain sortit de la grotte. Innocent se retourna et en vit jaillir une femme remplie de rage. Ses bras écartés terminés par des mains aux ongles démesurés et noirs s’agitaient à la recherche d’un ennemi invisible. Elle balança sa tête de droite et de gauche faisant tinter les sequins liés aux extrémités de ses cheveux noirs, emmêlés, décorés de bandes de tissu couleur sang et de plumes de corbeaux. Elle cria et se précipita vers le garçon qu’elle venait d’apercevoir. Il ferma les yeux.

(La chasse, le 6ème jour, au soir (vent 3ème jours)

Une odeur de fauve, une chaleur vivante, une masse puissante les lui fit ouvrir, malgré la terreur qui le tenait. Face à lui, les sabots plantés dans la terre creusée, la soie écumante : un sanglier se tenait prêt à l’embrocher de ses dents en fer de lance. Où était la sorcière ? Où étaient les jeunes nymphes ? Tout près des hommes vociféraient. Le sanglier planta son regard dans le sien et innocent sentit couler dans son dos une larme de glace. L’instant suivant l’animal disparaissait dans l’ombre froide de la grotte sans marquer le sol de ses sabots fendus. La broussaille s’agita. Une corne retentit et quatre chiens furent sur lui. Il cria et se débattit comme un dément, quand les hommes l’arrachèrent à sa cachette. Il disait des mots vides de sens ; parlait de sorcière transformée en sanglier et de jeunes filles dansant presque nues dans le sable et les fleurs.

Les hommes le poussèrent jusqu’au sentier avec rudesse. Ils se moquaient de sa tenue défaite, de sa chevelure hirsute, de son pas mal assuré. Tous lui en voulaient de leur avoir fait perdre la bête qu’ils chassaient depuis l’aube. Ils se le passaient, criant et riant, à coups de pieds ou de bâton comme on mène les oies. Bientôt tous arrivèrent au relais de chasse sur la hauteur. Un bâtiment tout en longueur, face à la barre rocheuse qui s’ouvrait sur une cour pavée ornée d’un puits circulaire. La porte passé, ils jetèrent, sans ménagement, le jeune homme dans un coin de leur repaire et se mirent à boire.

(Au relais de chasse)

Innocent, assis sur le sol, les genoux repliés,  fut pris de désespoir. Marie Madeleine avait trop pleuré. Elle avait engendré trop de sources. Il n’avait trouvé, personne pour le renseigner et aucune demeure abritant une jeune fille aux yeux tristes. Des larmes silencieuses marquèrent ses joues poussiéreuses de longues trainées blanches.

Les hommes avaient tiré des buffets de la cochonnaille et du pain. Il n’était pas question de Carême pour eux. Les couteaux tranchaient le lard salé et les mains s’agitaient au rythme de la parole avinée. Les chiens quémandaient leur pitance et recevaient des coups de pieds.

Au fond de son sac Innocent trouva un des sablés de sa marraine au sésame et au lin et l’émietta  doucement de ses incisives faisant coller la pâte mouillée sur son palais. La sensation de l’hostie lui revint et il pria le Dieu miséricordieux de le soulager de sa peine

Au dehors, la voix du vent se faisait déchirante et cruelle. Le froid s’insinuait sous la porte de merisier. L’âtre, où brûlait un tronc entier, illuminait tout le fond de la salle. Sa chaleur devait être douce. Grelottant de froid et rompu de fatigue, Innocent se leva pour s’en rapprocher. Il y eut un mouvement et il se trouva aussitôt cerné. Les couteaux dansaient menaçants devant ses yeux, caressaient son ventre, glissaient le long de son dos. Il eut un regard vers la porte. Il fallait qu’il s’échappe. Une bourrasque plus puissante que les autres fit trembler la toiture arrachant plusieurs tuiles et ouvrant une brèche vers le ciel noir. Tous étaient dans l’attente du choc en écho sur les dalles de la cour. Il y eut un son mat suivi d’un cri strident.

L’instant suivant la porte s’ouvrit sur un équipage portant une toile trempée armorisée aux couleurs de la Provence et des hommes d’armes entourant une femme richement vêtue. Elle tenait sa main sanglante. Ses servantes s’empressaient demandant de l’eau pure. Deux hommes équipés pour la guerre soutenaient un troisième plus âgé, vêtu de rouge et de vert qui semblait être leur chef et dont du sang coulait d’une large coupure à la tête. Tous trois s’installèrent sur un des bancs de bois.

Les chasseurs, instinctivement s’étaient reculés. Mais à présent se sachant en surnombre,  ils s’entreregardaient, rêvant de rapine quand la porte s’ouvrit sur une troupe d’hommes d’armes, arbalète à l’épaule, qui se déplia de part et d’autre de l’entrée pour se poser en faction, dos au mur, tout autour de la grande salle. L’homme blessé se releva et cria : « Dame Béatrix de Provence, femme de Charles d’Anjou, roi de Sicile, d’Epire et d’Albanie vous fait l’honneur de s’arrêter dans votre masure ; à genoux ». Innocent s’écarta du groupe qui l’avait menacé et se précipita à genoux, le plus près possible de sa comtesse.

En chemin vers la Sicile, où elle voulait rejoindre sa sœur Marguerite, la femme de saint louis la comtesse de Provence, avait pris quelques jours pour venir prier dans la Grotte Sainte ; seul lieux où elle avait trouvé le repos après la mort de son premier fils. Les lettres de sa sœur, sous la protection des chevaliers de Saint Jean à Jérusalem, trahissait son angoisse. L’armée croisée avait subi plusieurs épidémies. Des hommes preux étaient morts et son tendre époux capturé avec le roi à la bataille de Mansourah. A présent il leur fallait réunir 400 000 besants pour la rançon et elle n’en avait que la moitié.

La traversée serait longue et ces quelques jours, offerts à Dieu, ne modifieraient pas leur sort, bien au contraire. Béatrice, très croyante, mettait ses espoirs en la protection divine.

Pendant ce temps la mère d’Innocent, inquiète, était arrivé chez sa marraine. Leurs recherches avaient été stoppées par la venue de l’équipage de Dame Béatrix et de son armée. Il avait fallu dresser les lits pour les femmes abriter les hommes et les chevaux et nourrir toutes les bouches. Le vivier à poissons avait fourni des carpes dodues et le grenier à céréales, de quoi faire des pains, des galettes sans levain et des sablés. Les légumes d’hiver et les fruits  avaient été utilisés pour réaliser des soupes. Une partie des réserves de l’économe Dame Ermengarde de Bonconseil avaient ainsi disparu. Tandis que Dame Béatrix était montée au lieu Saint faire ses  oraisons ; l’armée était restée cantonnée sur la grand place. Dame Marie De Valbelle qui était arrivé en même temps que la troupe aidait son amie tant qu’elle le pouvait. Elle lui avait offert l’aide de ses gens et de ses servantes. Mais son cœur se serrait d’angoisse : que de temps perdu !

(7ème jour, au matin (pluie, journée de prières)

Au lever du jour (4 h) la pluie se mit à tomber froide et régulière. Innocent ouvrit la porte. Le vent ne soufflait plus.  Les chevaux de monte et leurs cavaliers avaient trouvé un abri dans les dépendances du relais de chasse d’autres s’étaient regroupés sous de larges bâches tendues sur des pics.

Béatrix sortit, la main bandée. Elle demanda aux hommes de se hâter pour rejoindre l’hostellerie, tenue par les moines, avant le grand office du lever du jour (6h). Innocent fit corps avec le flot humain. Portant paquet à la demande et poussant les sommiers de charge vers la porte étroite de la cour et la forêt.

En sa qualité de filleul de Dame Emergarde qui les avait si bien reçus l’avant-veille, il reçut une couverture de feutre imperméable, d’une bonne âme, jolie comme un cœur, prénommée Flama (flamme en provençal). Elle marchait, près de lui, sous la pluie encapuchonnée dans son surcot délavé sans en tenir compte et déversait un flot de parole incessant. Innocent se laissa bercer par sa voix, d’autant que la jeune fille l’avait installée à l’arrière, pieds ballant, du char de transport des effets personnels de sa Dame qu’elle tenait de la main.

Arrivés à l’hostellerie du couvent tous se mirent à l’abri et se séchèrent dans les grandes dépendances des compagnons de Saint Dominique. Après la messe Dame Béatrix, ses suivantes dont Flama, Innocent et quelques hommes d’arme, pour la sécurité, prirent le chemin du Roys, vers la Baume (grotte) Sainte. La pluie leur accordait un répit. Cependant ils pressaient tous le pas. Les hommes d’armes donnaient la cadence habitués qu’ils étaient aux longues marches. Derrière eux la Dame se faisait parfois porter sur une chaise à bras mais elle avait voulu faire le pèlerinage à pieds. Derrière enfin, venaient les suivantes et leurs larges robes mouillées, Innocent et sa compagne. Tous soufflaient. La montée fut pénible mais heureusement émaillée d’oratoires où il était de tradition de s’arrêter pour dire une partie du rosaire des frères prêcheurs.

Arrivés devant la grotte, au bout des marches taillées dans la pierre, ils firent silence et entrèrent. Tout était sombre mais leurs yeux s’habituèrent bientôt à l’obscurité. Un père des « chiens du seigneur » (Dominicain) venait d’éclairer le premier cierge et, chandelle à la main, était en train d’éclairer le second positionné à l’autre extrémité d’un petit autel de marbre blanc. De simples bancs de bois soulagèrent leur fatigue. Innocent, à genoux, s’abîma dans la prière. Repensant à sa soirée de la veille, il se demanda pourquoi Dieu, qui avait tout créé, avait aussi créé le mal.

Dans le relais de chasse, pris par le froid, il s’était rapproché de la chaleur et c’était ce qui avait failli entraîner sa perte.  Ici, dans la grotte, l’obscurité l’enveloppait, en dehors du halo de lumière produit par les cierges.

Soudain deux gouttes tombèrent du plafond rocheux sur les flammes tremblotantes, éteignant toute clarté.  Une idée lui vint : et si le mal n’était comme le froid ou l'obscurité, qu’un mot pour nommer l’absence de chaleur ou de lumière. Le mal n'est pas comme la foi en Dieu, ou l’amour ; qui existent, tout comme la lumière et la chaleur. Il est comme le froid qui s’insinue quand il n'y a aucune chaleur ou l'obscurité qui nous angoisse quand il n'y a aucune lumière. Le mal est le résultat de ce qui arrive quand l'homme n'a pas l'amour de Dieu dans son cœur. Le mal serait, peut être, simplement, l'absence de Dieu ? (Albert Einstein)

Après une génuflexion il sortit.

Il reprit seul, le chemin qu’il avait monté. Demanda sa route à l’hostellerie et se dirigea, sans faiblir,  vers la faille des rocs de la Caïre.

Comme indiqué par l’un des moines, une bergerie isolée qui fournissait les religieux en lait et en fromage de brebis, lui offrit le gite et le couvert.

(8ème jour, au matin (beau temps).

Jour du jugement des Dieux réunis dans le ciel immense

Il en repartit très tôt. Cette fois ci, au lieu de remonter la rivière, il descendait un torrent. Le  pierreux (Le Peyruis), portait bien son nom, tant son lit était encombré de rochers plat affleurant sous la surface, de pierres et de pierraille, qu’il roulait entre ses doigts d’eau comme fétus de paille au vent. Les pluies répétées l’avaient grossi comme la ventrue vue l’avant veille. Sur la rive gauche, où se trouvait notre jeune aventurier, la descente devenait périlleuse ; alors que la rive droite paraissait plus tranquille. Il lui fallait trouver un moyen de traverser. Il découvrit bientôt un gué naturel, fait de pierres moussues au saut d’une petite cascade argentée. Il s’y engagea.

(9ème jour au soir)

L’instant suivant il ouvrit les yeux. La pénombre l’entourait. Il cligna des paupières et devina une statue. Sa tête lui faisait mal.  Il ouvrit les yeux à nouveau et, grâce à l’éclairage d’un petit vitrail de cœur, il put voir où il était.

Il était allongé, dans son vêtement de dessous, sur une natte de chanvre tressé qui l’isolait des dalles de pierre froides et un bon samaritain avait recouvert son corps de deux peaux de moutons réunies par une large couture grossière. Une petite statue de bois noir le regardait. Il venait de se réveiller dans une chapelle vouée à la vierge Marie.

La mémoire lui revint doucement : le gué, les pierres, le choc. Il mit la main à sa tête et sentit ses cheveux collés par le sang séché. Un enfant cria et une meute humaine fut autour de lui. On le touchait, on lui parlait dans une langue inconnue. La foule s’écarta bientôt sur une femme d’une grande beauté. Ses cheveux, plumes de corbeau, descendaient long sur ses épaules que couvrait un châle fait de fleurs rouges sang sur fond noir le tout sur-brodé de fils d’or. Elle s’approcha de lui. Sa robe rouge, épaisse, à larges volants ondulait comme la houle de la mer qui tenait sa tête. Le tissu le recouvrit en partie quand elle s’accroupit pour lui toucher le front. Elle prit la tête douloureuse d’Innocent dans ses mains et il oublia la douleur. Elle le regarda longuement de ses yeux d’obsidienne (noir) et il plongea dans ce regard pour s’y poser comme dans les bras de sa mère.  Ecartant ses mains, elle lui sourit et dit des mots inconnus.

« Tu es guéri », dit une voix derrière lui. « Mais tu reviens de loin. Nous t’avons cru mort et nous t’avons confié à la vierge. Voilà deux jours que tu délires et que tu fais semblant de mourir. Enfin te voila revenu parmi nous ; enfin je crois que c’est ce qu’elle a dit ».

Innocent se retourna. Le flot de paroles venait d’un petit homme chétif, tonsuré, ridé, aux yeux exorbités d’un bleu transparent. Il se présenta. » Je suis le servant de la chapelle ».

Il désigna, de sa main tremblante, la femme, portant la vierge noire qui sortait drainant le groupe qui les avait entourés. « C’est ses frères qui t’ont sorti de l’eau. Heureusement qu’ils étaient là ». Le petit homme s’affaira. « J’ai fait sécher tes habits et tes chaussures, même ta couverture de feutre ». Il la tripotait avec agitation. « Elle à l’air chaude. Tu me la donnes » ?

Le jeune homme essaya de se lever mais la nausée lui vint aux dents. Son corps lui faisait mal. Le torrent avait dû le rouer de ses pierres. Appuyé sur un bras, il laissa échapper un soupir douloureux. Le petit homme s’éloigna avec la couverture qu’il volait contre lui et parla de la porte ce qui le faisait ressembler à une ombre fantomatique dans la lumière du soir.

« Je sais, tu as faim. De la soupe de pissenlit bien chaude et du miel de ma ruche. Je t’apporte tout ça ». Il disparut. Innocent ferma les yeux. Avant de sombrer à nouveau dans le sommeil, il vit sa mère inquiète qui cherchait son regard.

A Auriol l’ost (l’armée) était partie à la suite de Dame Béatrix. Il avait fallu : nettoyer les écuries, vider les paillasses, ranger le mobilier, fermer à clef les armoires à vaisselle et mesurer le niveau des greniers. Dame Ermengarde n’avait presque pas dormi. Exténuée mais disponible elle pouvait enfin aider son amie Dame Marie dans la recherche de son fils. Toutes deux, à cheval avec leur suite, venaient d’atteindre la maison des moines voués à la règle de Saint Dominique.

(10ème jour, au matin)

Au matin, Innocent prit congé, des gens qui voyagent et du servant de la vierge, et repris sa route. Il descendit le mamelon sur lequel était plantée la chapelle, en se demandant comment ses sauveteurs avaient pu le monter si haut, et retrouva le torrent.

Dans un large vallon il atteignit le village de la Sainte Babouche (San Sabatoun, Saint Zacharie). A sa rencontre avec le Pierreux,  les eaux d’Ubelka s’étalaient sur une mini plage de galets. Innocent passa le petit pont,  submergé en cas de crue, et remonta vers la place du village et sa fontaine. Des femmes parlaient autour d’elle, la cruche posée sur la margelle. Il passa en les saluant. Elles s’écartèrent craintives, comme prises en faute, et disparurent avalées par les portes des maisons. C’est vrai qu’il n’était plus aussi bien mis que lors de son départ du château paternel. Son sac avait été emporté par le torrent, son argent pris par les chasseurs, sa couverture oubliée chez un servant illuminé. Son garde corps semblait avoir été piétiné par un cheval sauvage et l’estafilade qu’il avait sur la tête, n’arrangeai rien à l’affaire. Mais de là à faire peur ?

Il traversa le village sans croiser un regard. Jamais on ne l’avait traité ainsi. Gêné il baissa la tête et fit corps avec les murs de pierre des maisons construites à l’enfilade contre la route pavée. Quand celles-ci se transformèrent en une falaise de roche blanche cela apaisa l’angoisse qui serrait son cœur.

La route perdit ses pavés et devint un large chemin de terre damée utilisé par les marchants et les bêtes.  Innocent traversa un couloir herbeux, plat, cerné à gauche par la falaise blanche et à droite par le fleuve qui baignait le pied d’une colline boisée. Les chênes montaient à l’assaut du sommet en si grand nombre qu’il était impossible de prendre la rive gauche. Sa fatigue aidant il resta sur le chemin praticable. Le soleil était presque au zénith quand il fut dépassé par un char de bois plein, rempli de pommes de toutes couleurs. Le paysan qui les avait cueillies les avait conservés tout l’hiver sans les gâter depuis la saison précédente. Mais celui qui les transportait menait ses bœufs avec vigueur négligeant les ornières. Un cahot en fit tomber trois. Innocent héla le cocher négligeant. Mais il lui répondit par une injure et cracha dans la poussière sans se soucier de la perte de son chargement.

 Arrivé à la hauteur des trois pommes Innocent se pencha pour les ramasser. Tant pis pour le propriétaire. Il avait trop faim. La route facile avait éloigné notre marcheur du fleuve et de ses préoccupations. Juste où les pommes étaient tombées débutait un sentier qui serpentait le long des eaux d’opale. Hécate, la déesse des carrefours, venait de le remettre sur le bon chemin. Il mangea la première en quittant la route. Il mangea la seconde en pénétrant dans le sentier. Il mit la troisième dans sa poche et entra sous le couvert des arbres. Les goélands suivaient aussi la piste de l’eau pour chercher un abri dans les terres. Au loin tout là bas la mer luterait contre les vents déchainés.

Le sentier des sureaux noirs (la Sambuc) montait mais cependant Innocent avait l’impression de descendre vers les enfers, tandis que les arbres se densifiaient. Le fleuve grondait et son grondement roulait sur la pente d’une colline et repartait en écho sur l’autre  puis revenait inlassablement, comme les eaux qui le grossissaient de plus en plus. Les vieux troncs, à la peau épaisse, devenaient des hommes en armure et leurs branches des bras immense, armés d’épées aiguisées et de lances d’acier. Dans les troncs calleux se cachaient des créatures rampantes et grouillantes. L’orage éclata sur la hauteur. La pluie vint avec le vent. Il marchait, âme vivante, dans cet univers végétal. Sa main droite tenait un bâton sur lequel il s’appuyait mais sa main gauche, posée contre sa poitrine, serrait le portrait aux yeux tristes et c’était comme si des larmes s’en échappaient pour mouiller son cœur.

Il marcha dans la tempête, sans autre pensée que celle de la jeune fille. Le vent giflait son visage de sa main mouillée. La pluie trempait son corps de sa danse venteuse.  Il marchait toujours. Il trouva dans un repli de terrain, à l’abri, des feuilles sèches et en remplit sa chemise. Cela l’isola de la griffe du froid. Le soleil tenta une timide percée. Il le regarda, avec espoir, à travers la ramure agitée d’un chêne centenaire mais des nuages venus de la mer s’interposèrent et il devint complètement noir. Innocent continua de remonter le chemin de l’eau vers le soleil de Mardouk pendant des heures.

Le soir vint puis la nuit. Il marchait toujours. La lune l’éclaira de sa clarté pâle. Il trouvait son chemin car le bois s’était clairsemé. Sur une hauteur, la tourelle effondrée d’un four à chaux lui offrit son abri de pierre et il y passa la fin de la nuit. Il savait qu’il s’était égaré. Mais l’eau chantait et dansait toujours sur les roches calcaires à portée d’oreille. Il s’endormit.

(11ème jour, au matin. Les Dieux décident (aide du renard)

Le matin avait amené le beau temps. Le jeune homme s’étira et grimpa sur le pan de mur encore debout en mâchonnant sa dernière pomme. Il regarda tout autour de lui et s’arrêta sur une rangée d’osiers plantés sur le bord d’une rigole d’irrigation.  Entre lui et ce qui avait servi à tresser le soleil encadrant le tableau se dressait un labyrinthe de « haie vive », fait d’un enchevêtrement de laurier, de lierre et de houx. Au centre il devina la toiture d’une maison. D’un bouquet d’érables sortait une tourelle. Il descendit de son perchoir et se dirigea vers la maison fortifiée et la haie qui l’entourait. Arrivé à destination il constata qu’on avait tressé les arbres enfants et qu’ils avaient continué à pousser, à grandir et à rendre infranchissable ce mur de troncs et de feuillage. Les ronciers s’en étaient mêlés en s’enroulant autour des tiges de ce soutient naturel. Salsepareille, et mûres complétaient ce rempart de leurs feuilles hérissées de pointe et de leurs épines comme autant de dards porteurs de venin.

Qui lui indiquera le chemin dans ce dédale ? Une nouvelle fois, avec ferveur, il pria Hécate, la déesse des carrefours.

Elle répondit sous la forme d’un petit renard à la robe de feuilles d’automne. Il se présenta devant le jeune homme silencieux, et vint s’asseoir sur son séant à une portée d’arbalète. Après quelques instants d’hésitation, il tendit ses oreilles, aplatit son corps et marchant /rampant, se glissa par une porte de verdure. Innocent marchant/ rampant de même, le suivit de loin, mais sans le perdre de vue. Le renard le guida lentement en humant le sol, vers la ferme et le poulailler.

C’est là qu’il vit devant la porte de la maison forte sa mère et son équipage, sa marraine et ses gens en train de parler à un homme de haute prestance. Sur l’instant il voulu se jeter dans ses bras tant il était épuisé, tant il avait besoin d’elle ; mais Hécate veillait.

Avec grand bruit, toute une troupe à cheval arriva suivie d’hommes à pied tenant chacun en laisse plusieurs chiens de chasse. Le renard roux se glissa prés de son épaule, caressa sa joue d’une queue touffue et vint  se présenter devant lui. Il tourna la tête. Il y avait un passage creusé par des mains humaines, sous le mur vert.

Porté par une pensée mouvante, Innocent s’y engouffra.  En se redressant  de l’autre côté, il vit la trace de deux petits pas dans la poussière sensiblement à l’endroit où il se tenait. C’était l’empreinte de semelles gravées d’un trèfle de deux petites babouches. Il se mit à courir.

Il suivait le chemin marqué sur le sol par les pas « tréflés ». Parfois, ceux-ci, disparaissaient sur quelques roches affleurant le sable mais le jeune homme mangeait les obstacles et il retrouvait à chaque fois le tracé délicat. Parfois le trèfle se confondait avec le sol poudreux et ne restait que l’amorce du bout pointu de la chaussure. Elle avait couru. Il accéléra la cadence. Essoufflé, il arriva devant un pan de rocher moussu où se dessinait une faille verticale et noire. Cette faille s’ouvrait sur une grotte vers le ventre de la terre. Le sol piétiné montrait que les pas s’était arrêtés quelques instants. Il hésita. Les chiens de recherche aboyaient. Il entra sans prendre garde aux roches du sol, trébucha et tomba lourdement. De sa main s’échappa le petit portrait malmené par les intempéries. Il roula et s’immobilisa dans le seul rayon de soleil qui pénétrait la grotte sombre en cet instant.

La jeune fille apeurée par le monde qui avait pénétré sa maison s’était réfugié dans son petit château (Grotte de Castelette). C’est elle qui avait creusé sous la barrière de verdure, dans le labyrinthe. Les enfants ne disent pas tout. C’est à elle qu’appartenaient les babouches tréflées. C’est elle, enfin, qui avait guidé Innocent vers son abri.

Innocent s’était redressé. Tandis que ses yeux se faisaient doucement à l’obscurité ambiante il s’assit. C’est ainsi qu’il sentit une petite main se glisser dans la sienne. Il n’eut pas peur. Il n’eut même plus jamais peur. Il venait de trouver sa Jeune fille au cœur pu et à l’âme de cristal.

(12ème jour : Les dieux ont décidé; nul ne pourra, pour un an, fléchir leur volonté.)

Au petit matin ils sortirent de la grotte. Ils se tenaient toujours la main. Ils marchaient portés par les anges. Des chiens hurlaient au loin. Le petit renard était sur le sentier. Il les regarda longuement et disparut. Il y eut des cris, des sons de trompe, une cavalcade. Innocent regardait la jeune fille qui le dévorait des yeux. Les deux enfants du fleuve s’étaient cherchés, s’étaient trouvés, s’étaient reconnus. Ils marchaient à présent vers la maison forte sans appréhension aucune, comme surs de cet amour naissant.

La mère d’innocent, sa marraine et le père de Triskèle arrivèrent, en courant, au bout du sentier. Ils s’arrêtèrent et se regardèrent. D’un signe ils firent éloigner les chiens et faire silence à leurs gens. Les enfants arrivèrent à leur hauteur. Dame Marie De Valbelle et le seigneur Bertrand de Nans s’écartèrent. Leurs gens reculèrent dans l’ombre du sous bois. Les Dieux ouvrirent le ciel un instant et les enfants indifférents au monde, passèrent devant leurs ainés nimbés d’une lumière irréelle.

Plus tard, dans la maison forte, on prit le temps de se parler en dégustant des racines de rave confites accompagnées d’hydromel. Dame Marie demanda la main de Triskèle pour son fils Innocent au seigneur Bertrand qui la lui accorda de belle grâce. Les deux parents qui avaient su protéger leurs enfants de la peur des hommes se rapprochèrent. C’est ainsi que Dame Marie trouva auprès de son nouvel ami une épaule sincère pour pleurer son époux mort en croisade.

Le temps invisible, entre rotation de la terre et révolution autour du soleil, appartient aux Dieux. En ces 12 jours, il a été modifié. Le passé à été suspendu et la chose a existé simultanément. Ainsi le passé est devenu présent, mémoire et anticipation.

FIN

Ainsi, “on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve”, tout est changement, tout est mouvement.

Héraclite d'Éphèse philosophe grec de la fin du VIe siècle av. J.-C.

C’est cette faveur secrète que nul ne connait s’il ne la reçoit, que nul ne reçoit s’il ne la désire, que nul ne désire, si ce n’est celui qui est enflammé jusqu’au fond des entrailles par le feu du Saint Esprit que Jésus Christ a porté sur cette terre.

Saint François d’Assise, Ordre des frères mineurs, enfant de Tarascon.

……………………………………………………………………………………………………………………………………Recherches :

Athéna : est une déesse de la mythologie grecque, identifiée à Minerve chez les Romains. Elle est également appelée « Pallas Athéna », déesse de la guerre, de la sagesse, de la stratégie militaire, des artisans, des artistes et des maîtres d'école.

Beatrix ou Béatrice : Femme de Charles d’Anjou (frère de Saint Louis) et sœur de Marguerite (Fille du comte Raymond Bérenger V et de Béatrice de Savoie et femme de Saint Louis).

Babouche : A Saint Zacharie il y a une babouche que possède l’église de Saint-Zacharie et qu’une tradition ancienne dit avoir appartenu à la Vierge Marie.

Cairn : (ou montjoie) est un amas artificiel de pierres placé à dessein pour marquer un lieu particulier.

Charles d’Anjou : Charles suit son frère Louis IX en 1242 au cours d'une expédition militaire contre le comte de la Marche. C'est la première fois qu'il s'engage dans une entreprise militaire. En 1246, il épouse Béatrice de Provence (1234-1267), comtesse de Provence et de Forcalquier (1245-1267), fille du comte Raymond Bérenger V et de Béatrice de Savoie. Par ce mariage, il devient lui-même comte de Provence et comte de Forcalquier (1246-1267), titres qui continuent à lui être donnés par courtoisie après son veuvage et son remariage. À l'occasion de ce premier mariage, son frère Louis IX, (Saint Louis) le nomme comte d'Anjou et du Maine, créant de ce fait la seconde dynastie angevine. Charles accepte l'invitation de son frère Louis IX à la septième croisade, malgré la situation explosive du comté de Provence. Il embarque avec Louis et Robert d'Artois à Aigues-Mortes le 28 août 1248. Il débarque le 18 septembre à Chypre, où Béatrice donne naissance à un fils qui mourra peu après. En Égypte, Charles combat avec vaillance mais est fait prisonnier en 1250 à la bataille de Mansourah avec le reste des croisés. Il est libéré un mois plus tard moyennant le paiement d'une forte rançon. Affaibli par le paludisme, et inquiet des désordres qui ont lieu dans son comté, Charles propose de ramener l'armée en France. Louis IX reste finalement en Terre Sainte mais autorise ses deux frères à retourner en France.

Enfant du fleuve : on disait quand une femme avait un enfant différent (avec un handicap) qu’elle s’était baigné imprudemment dans les eaux et que le géni du fleuve avait enfanté cette descendance. En général l’enfant était abandonné.

Equinoxe de printemps : 21 mars, le jour et la nuit sont égaux. 24 mars. Période ou est visible la constellation du bélier

Garde corps : sorte de grand manteau de voyage à capuchon et à larges manches.

Gargantua : Grandgousier, Gargantua, Pantagruel étaient des rois et des géants qui règnent en Utopie, près de Chinon, en Touraine. Immortalisés en 1534 par François Rabelais, le règne des géants se retrouve dans la tradition populaire des cinq continents depuis la nuit des temps.

Haie vive : Arbustes plantés en haie serrée  et tressés à mesure de leur pousse pour constituer une protection contre les prédateurs. Entretenu et taillé de façon régulière c’est un rempart infranchissable que ce soit par les animaux ou par les hommes.

Les mains sales : Marie Madeleine demanda à Dieu (au bout de 7 ans de pénitence dans la grotte) un peu d’eau pour laver ses mains sales. Une source jaillit dans la grotte. Après s’être lavée, comme elle s’extasiait sur leur blancheur, Dieu renouvela sa pénitence arguant qu’elle ne s’était pas délivrée du mal qui l’avait souillée. Elle pleura, ainsi naquirent l’Huveaune et tous ses affluents.

Maître du fond :   Seigneur qui a un droit de pêche sur les rivières et les lacs de son fief et constitue des viviers pour son usage personnel ou celui de son suzerain.

Mardouk (Baal) est le plus grand des Dieux babylonien. Il est Représenté par un taureau ailé (Babylone) (Ile de Minos : minotaure). C’est le Dieu de la végétation et de la renaissance du soleil.

Pantagruel : Pantagruel Roi des Dipsodes, fils du Grand Géant Gargantua.

Obole de Lesbos : Chez les grecs, une obole était placée dans les mains du mort pour le passage du Styx, le fleuve des enfers. Lesbos est une ile de la méditerranée. Il y eut une grande bataille à Auriol et il fut enterré énormément d’oboles pour les défunts. Certaines furent retrouvées.

Ostara : une fête païenne célébrée à l'occasion de l'équinoxe de printemps par les adeptes de la Wicca. Elle symbolise le renouveau de la vie et de la terre, après l'hiver.

Romains : Chez les romains les fêtes du retour du printemps sont liées au feu et à la lumière qui sont éteints par noyade dans une eau courante. Dragon =Jupiter =chiffre 50.

Paluds : Marais : Assèchement des marais de la zone des paluds par louis XI en 1454.

Soleil de  rotin : la convallaire polygonée, ou sceau de Salomon, ou étoile de Balthazar, est la fleur qui servait probablement de modèle pour le tressage des soleils d’or.

Trèfle : Les trèfles mystiques sont des composants nécessaires à la création des armes légendaires. Le Don de Fortune qui est l'un des composants requiert 77 trèfles.

Triskèle : Dessin en trois parties (3 jambes, 3 volutes, 3 cercles) qui devait être un symbole solaire. Ses trois branches réunies représentent la triplicité dans l'unité. Chez les celtes cette triplicité peut être matérialisée de diverses façons. Le panthéon des dieux celtiques au nombre de trois: Lugh, Daghda, Ogme ou la déesse unique sous ses trois aspects: fille, mère, épouse.

Trisomie : La trisomie 21 est une anomalie chromosomique congénitale provoquée par la présence d'un chromosome surnuméraire pour la 21e paire. Ses signes cliniques sont très nets, un retard cognitif est observé, associé à des modifications morphologiques particulières. C'est l'une des maladies génétiques les plus communes, avec une prévalence de 9,2 pour 10 000 naissances. Depuis la Grèce on les appelle nés du fleuve ou fils de Poséidon.

Ubelka : nom du fleuve Huveaune des celto ligure. C’était une déesse redoutée car dévastatrice. Le nom Huveaune n’a été noté dans les cartes qu’a partir de 985.

Wicca : est un mouvement religieux basé sur l'« Ancienne Religion » définie par Gerald Gardner et incluant des éléments de croyances telles que le chamanisme, le druidisme, et les mythologies gréco-romaine, slave, celtique et nordique. Ses adeptes, les wiccans, prônent un culte envers la nature, et s'adonnent à la magie. La Wicca est un culte à mystères.

 

 

                                                                                  Françoise Contat /Tournon     Mars/Mai 2015

 

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