Tistet « lou Gibus »

 

 

Tistet « lou Gibus »

Adaptation au racontage de Françoise Contat D’après Georges Sicard

 

La pulsatille est parfois en fleur dès février, bien avant d’avoir les feuilles. Les coloris du blanc au pourpre en passant par le bleu sont faits pour égayer une rocaille ensoleillée ; elle est toujours fidèle au rendez-vous.

 

Il y a bien longtemps en Provence vivaient des sorcières : « lei Masco ».

Si un troupeau de mouton était atteint de la clavelée c’était lei masco.

Si les cerises d’un verger avaient les vers c’était lei masco.

Si la fièvre quarte vous brûlait aux vendanges c’était lei masco.

Elles sortaient à minuit dans la pénombre et le silence.

A Avignon elles dansaient sur le rocher des doms.

A Tarascon elles hantaient l’îlot des « matagots » (chat).

A Marseille on les rencontrait dans l’impasse de la tasse d’Argent.

A Aubagne elles vivaient dans la mine de souffre du Bec Cornu. Elles utilisaient l’eau sulfureuse qui en sortait pour se laver les cheveux ce qui leur donnait une couleur verte qui brillait dans la nuit.

 

A Aubagne vivait un jeune homme doux, serviable et intelligent appelé Baptiste Jourdan qui avait, de naissance, une bosse disgracieuse entre les omoplates. On le surnommait Tistet lou gibus.

Tistet aimait Pulsatilla, une jeune lavandière du château d’Aubagne, qui descendait, chaque jour, tremper son linge dans le fleuve Huveaune. Chaque matin il se trouvait à l’heure, dite « de prime » au clocher de l’église, pour la regarder passer, toute chargée de linge dans son panier de rotin qu’elle portait sur la hanche comme un porte un enfant ; et, le soir quand la cloche sonnait les vêpres, il était là, de même, à la voir remonter au château, les joues rougies par le travail et le soleil.

Pulsatilla n’était pas insensible au charme de Tistet. Il avait un beau visage franc et un bon travail ; il était saute ruisseau chez monsieur Cocardin, rue de l’échelle, dans la seconde enceinte du château. Mais Tistet était bossu et elle avait peur que cette infirmité ne se transmette à ses enfants.

Les mois passaient. Tistait pleurait de rage et de colère. Comment sa mère si douce, si tendre, si disponible avec chacun, si généreuse avec les pauvres avait-elle pu être « emasquée » pendant qu’elle le portait. Il décida d’aller demander raison aux « Masco » tout là-haut sous tête rouge.

 

C’était une nuit d’hiver. Le mistral qui soufflait depuis deux jours avait nettoyé le ciel. La lune était pleine. Deux heures avant minuit il se présenta à la porte Gachou. Le gardien hésitait à lever sa herse

-Tu as une lieue et demie à faire dans cette tempête.

-Mais je l’aime

-Regarde ! La cime des grands pins lacère le ciel.

-Je ne peux faire autrement, je l’aime tant.

-Le vent ronfle, les étendards claquent, les maisons tremblent.

-Je t’en supplie ouvre ta porte gardien ou j’en mourais de chagrin.

Le gardien fit tourner la roue du contre poids de herse et Tistet se glissa hors des murs protecteurs.

 

Aussitôt le vent enfla sa cape et le teint ainsi luttant contre lui jusqu’en haut du chemin de « l’ouve ». Tistet avait hate d’arriver au but. Entré dans la garrigue les « argéras » lui fouettaient les jambes, les houx déchiraient ses chausses mais il marchait toujours. Devant la plâtrière du fond de Mai il jaugea la pente abrupte. Sur la droite un « drainon » s’encastrait dans l’anfractuosité rocheuse du bec cornu. Il s’y engagea. Haletant, les mains en sang, le visage en feu malgré le souffle glacial du Mistral, il se hissa jusqu’au sommet.

Il aperçut alors un étroit vallon à l’abri du vent, irradié d’une fluorescence verte. C’était l’entrée de la grotte aux « masco ». Un pain de souffre brulait sur le devant de la grotte et des formes sombres allaient et venaient à l’intérieur. Au-dessus, accrochée à une crémaillère, une soupe de serpent cuisait dans une marmite de cuivre et une ombre emmanchée d’une louche la servait dans des écuelles en bois.

Tistet s’accrocha à son courage et à son amour. Il serra les poings, ferma les yeux et sauta dans le cercle infernal. Quel effroi !

Une fois les yeux ouverts et habitués à la lumière verte il dû constater que les sorcières étaient des femmes plutôt jolies. Certes leurs cheveux verts brillaient dans la pénombre mais leur peau était bronzée comme lui et elles ne volaient pas, à cheval sur un balai.

Tistet leur expliqua la raison de sa visite. Il parla de sa mère et de son amour pour sa belle qui lui avait donné la force de venir Elles le félicitèrent de son courage pour voir bravé la tempête et le firent entrer dans la grotte.

Au matin, il se réveilla,  il était seul. Il reprit tristement la descente vers le fleuve.

 

Pulsatilla frappait son linge en cadence parmi les femmes de blanc vêtues. Elle leva les yeux, laissa là son ouvrage et, en courant, vint se jeter dans ses bras. Aussitôt toute l’assemblée des lavandières se leva et fit cercle autour des amoureux. Chacune voulait toucher le dos du jeune homme droit comme un i. Sa mère alertée pleura de reconnaissance pour les « masco » qui avaient guéri son fils.

Monsieur le curé parla de miracle. L’apothicaire vanta l’efficacité de ses potions.

 

A Aubagne il y avait un deuxième bossu, grincheux et rapace qui faisait payer ceux qui voulaient toucher sa bosse pour se porter bonheur. Quand il apprit ce qui était arrivé à Tistet il décida, lui aussi, d’aller sous tête rouge voir les sorcières.

En pleine journée, après avoir pris courage au fond d’une bouteille, accompagné de ses amis de beuverie chantant et vociférant, et monté sur un âne, il se présenta devant la grotte. Les sorcières le firent entrer.  Il ressortit au matin affublé de deux protubérances : une derrière qu’il avait déjà et une devant comme Polichinelle. Il alla voir Garagaï, le curé de Cuges, celui des excommuniés. Mais  rien n’y fit. Ni les cierges brulés ne mes prières ferventes. Quant à Tistet, l’année suivante, sa femme mit au monde un bel enfant tout droit que « lei masco » dotèrent de mille qualités. 

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