Jerôme

Jérôme

Par françoise CONTAT

 

         Ce matin-là, Jérôme partait d'un pas joyeux sur le chemin de l'école. En effet, c'était la première fois que sa maman l'autorisait à faire le chemin tout seul. La matinée était splendide, le soleil déjà chaud. Ce chemin, il le connaissait par cœur, il l'avait fait des dizaines et des dizaines de fois. Mais aujourd'hui, les fleurs avaient le parfum de la liberté, les oiseaux semblaient tourbillonner au-dessus de sa tête. Les maisons s'égrenaient le long du chemin, celle avec les volets marron, celle avec la grande fenêtre et le petit chien blanc, celle dont le portail était toujours ouvert. Juste au moment où Jérôme pensa au chien de la maison de droite, celui-ci se mit à aboyer sauvagement. Il lui intima l'ordre de se taire, mais contrairement aux autres jours, l'animal continua de plus belle.

– Mais, se dit Jérôme, qu'a-t-il donc, il a mangé du lion ce matin ? C'est à cet instant qu'il aperçut la voiture garée dans la petite traverse en cul-de-sac. Deux personnes étaient à l'intérieur, mais il n'y prêta guère attention. Il arrivait à la hauteur du rosier épineux qui bordait la haie. Le monsieur qui le soignait d'habitude avec amour comme tout le reste de son jardin magnifique n'était pas là. Jérôme se dit qu'un petit bouton de rose serait sans doute bien accueilli par sa petite fiancée, Angélique. Il avait vu son papa en offrir à sa maman et se mit à rêver en marchant. Comme elle avait été contente ce jour-là et quel beau baiser avait reçu son père!

 

Il se hissa sur la pointe des pieds pour attraper un bouton de rose quand une main féminine le cueillit avant lui. Il sursauta et eut très peur. Mais la jolie personne qui se trouvait à côté de lui, lui dit:

– Bonjour, nous nous sommes égarés, veux-tu nous indiquer le chemin pour rejoindre l'autoroute ?

 

Jérôme, sans méfiance, s'approcha de la voiture. Sa maman lui avait bien dit de ne pas accepter de bonbons ou autre chose d'un étranger -mais cette jeune femme ne donnait rien- de se méfier des messieurs à l'allure bizarre -mais, elle était si jolie-!

Et puis Jérôme aimait bien rendre service et montrer qu'il savait où se situaient Marseille, Aubagne, l'autoroute, donc il pouvait renseigner ces gens.

 

 

Au moment où il s'approcha de la voiture blanche, l'homme qui était à l'arrière ouvrit la portière. Aussitôt tout se passa très vite. L’enfant se retrouva à l'arrière du véhicule, entre l’homme inconnu et la jeune femme qui riait. Au passage devant son école, il reconnut la voix de ses copains, mais il ne réussit pas à ouvrir la bouche. Déjà la voiture l'entraînait dans la circulation elle prit la bretelle menant à  l'autoroute, ils étaient loin.

 

Lui si fort, si courageux, il s'était laissé berné. Sa ceinture orange de judo ne lui servait à rien. Il en aurait pleuré de rage, s'il n'avait eu si peur. Trois gouttes de pipi se mirent à mouiller son slip. Il eut honte, si honte! Il se conduisait comme un bébé. La colère lui fit redresser la tête, juste au moment où la voiture passait sous le panneau indicateur de l'autoroute. Le fléchage indiquait Toulon Jérôme connaissait cette ville. Son père et sa mère avaient des amis, là-bas, et puis, c'était le chemin de la plage. Les leçons de son père revenaient à un rythme accéléré: regarder les panneaux, se repérer, chercher de l'aide. Et puis il se mit à réfléchir. Ils devraient bien sortir de l'autoroute, là où il y a le poste de péage. On doit toujours s'y arrêter. Peut-être, aurait-il une occasion de s'échapper?

 

La femme "farfouilla" dans son sac et tendit une petite bouteille à l'homme qui prit son mouchoir. Jérôme ne savait pas ce que c'était, mais il avait vu dans les films que cela servait à endormir. Il voulut se défendre, donna à l'homme un formidable coup de pied et, en même temps, se mit à crier de toutes ses forces. L'homme fut tellement surpris qu'il laissa tomber la bouteille. Tandis qu’il la ramassait sur le sol de la voiture La femme essaya de l'agripper par les cheveux, mais il réussit à lui échapper. En quelques secondes ce fut la "pagaille" à l'intérieur de la voiture: ça gesticulait dans tous les sens. Tel un chat sauvage, Jérôme donnait des coups de poing, des coups de pied a tout ce qui se trouvait près de lui. Tout à coup, on entendit venant du siège du conducteur ces quelques mots énoncés d’une voix forte:

– Jérôme, ça suffit !

L’enfant dominé par la voix s’arrêta. Cette voix il la connaissait. Il ne savait pas où et quand il l'avait entendu, mais il la connaissait. Il ne s'aperçut même pas que l'homme avait réussi à imbiber le mouchoir, la voix le hantait quand il s'endormit et qu'il entendit la femme dire:

– Voilà le péage !

 

La première chose que Jérôme vit quand il ouvrit les yeux c'était qu'il n'était ni dans sa chambre, ni dans celle de son papa et sa maman, où parfois il dormait le matin, que ça ne sentait pas le chocolat chaud, mais le moisi et qu'il ne faisait pas clair comme le matin, mais grand soleil. Les cigales chantaient. C’était l’heure de la sieste, mais il y avait bien longtemps qu'il ne faisait plus la sieste l'après-midi. Et puis, tout lui revint d'un seul coup, la rose, la femme, l'école, l'homme et son mouchoir avec la bouteille et puis la voix:

– Jérôme, ça suffit!

 

Il avait été enlevé mais pourquoi? Sa mère lui avait bien dit que cela arrivait, mais en général, c'était pour de l'argent et ses parents n’en avaient pas plus que les autres. Enfin cela n'avait pas d'importance maintenant, ses parents comptaient sur lui et devaient s'inquiéter, il fallait s'en aller au plus vite.

 

A cet instant, la porte s'ouvrit sur la femme de la voiture. Elle tenait à la main une barquette de frites semblable à celle que le père de Jérôme lui achetait quand ils allaient à la pêche et par-dessus un sandwiche. Elle posa le tout sur la table, près de la fenêtre et sortit sans un mot en refermant la porte à clé derrière elle. Jérôme se leva du lit, il avait un peu mal à la tête. Il y avait un lavabo dans un coin, il se passa de l'eau sur la figure, s'essuya avec sa manche et but dans le verre qu'il trouva sur la tablette de toilette. Puis il s'approcha de la table, les frites étaient encore chaudes. Tiens, se dit Jérôme, quand on les achète d’habitude elles ne restent pas chaudes longtemps. Le marchand ne doit pas être loin, nous devons être en ville. En effet, en prêtant l'oreille, Jérôme entendait des bruits, des cris, il y avait du monde dehors. Jérôme ouvrit la fenêtre, elle était grillagée. Il fallait s'y attendre.

 

Il allait s'en éloigner, quand le bruit d'un avion lui fit lever les yeux. Il reconnût sans se tromper le ronronnement caractéristique du moteur  d’un canadair. Il doit y avoir le feu s’inquiéta l’enfant. Mais non, l’avion descendait. Il était en ville et en ville on n'utilise pas de canadair.  Soudain il réalisa. Il descend pour prendre de l'eau. Nous sommes à La Ciotat, d'ailleurs, je vois le haut de la grue des chantiers navals. De savoir où il se trouvait donna à Jérôme un regain d'énergie. Il se mit à crier à travers la fenêtre :

– Au secours, au secours! Comme une furie, la femme entra dans la pièce, elle attrapa Jérôme sous le bras et lui plaqua la main sur la bouche. Il se débattit tant qu'il put. Au dehors elle s'engouffra,  avec son passager gigotant, à l'arrière de la voiture dont le moteur tournait déjà. Ils sortirent de la villa. Jérôme, plaqué sur le siège, maintenu par la femme et l'homme à la bouteille, ne pouvait pas bouger un muscle. Des larmes se mirent à couler le long de sa joue. Il pensa à sa maman qui avait dû l'attendre à midi, à son papa qui ne savait encore rien et qui ne pouvait pas agir, à moins que sa maman lui ait téléphoné, à son petit frère qu'il aurait aimé serrer contre son cœur à la maison. L'homme et la femme relâchèrent leur étreinte. La voiture roulait régulièrement, c'était à nouveau l'autoroute, on s'éloignait de la maison. Ils avaient dû s'arrêter à La Ciotat afin de téléphoner pour la rançon. Mais qu'allaient-ils faire de lui après ? La tête se mit à lui tourner. Il n'avait pas mangé et puis la voiture ne lui allait pas. Il avait toujours été malade, et là, la tête en bas. Il put enfin s'asseoir. Les adultes ne se souciaient plus de lui. L'homme à sa droite, la femme à gauche, il put enfin détailler dans le rétroviseur l'homme à l'avant. Bien sûr, il le connaissait, c'était le vieux monsieur qui avait loué la maison près de l'école et qui regardait les enfants rentrer tous les matins, assis sur sa chaise pliante. Tout le monde l'avait pris pour un fou.

 

Jérôme se dit qu'il ne devait pas y avoir de rançon, qu'ils allaient lui faire du mal parce qu'il connaissait un de ceux qui l'avait enlevé. La nausée le reprit à nouveau, il n'osait pas demander l'ouverture d'une fenêtre et puis il y avait l'homme à côté de lui. Il fallait pourtant qu'ils s'arrêtent, il aperçut la station d'essence plus qu'il ne la vit vraiment. Il se pencha sur l'homme, hoqueta.

 

L'homme s'écarta, se mit à crier :

– Arrête-toi, il va me vomir dessus, ce petit con! La voiture fit une embardée. Elle avait pris la voie d'accès à la station. Jérôme fut traîné dehors, il vomit un peu puis il vit la moto brillant au soleil et le flic qui parlait avec le pompiste. Il n'eut plus qu'une idée: courir. Courir vers la moto, vers le pompiste, vers ce flic habillé de bleu.

 

Quand il retrouva ses esprits, il était dans les bras du pompiste. Jamais l'odeur d'essence ne lui fut plus agréable. Le flic lançait un appel radio pour signaler qu'on avait retrouvé un enfant correspondant au signalement, qu'il fallait rechercher une voiture blanche, etc,...Le retour dans le car de police se passa comme dans un rêve, mais surtout quand il en descendit, il y avait papa et maman.

 

On apprit quelques temps plus tard que la maison près de l'école était en vente. Un jeune couple avec deux enfants s'y installa, et la seule personne qui se mit à regarder entrer les enfants à l'école, assis sur une chaise pliante était un petit chien tout poilu qui ressemblait à un nounours.

 

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