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Violette (Primé-Edité)

Violette

J’ai écrit cette histoire après avoir lu dans le journal, en fin d’année, qu’on avait retrouvé une petite fille dans une poubelle et que comme elle était violette de froid on l’avait prénommée ainsi. Je vous le livre comme je l’avais écrit à l’époque avec un style sec, voire lapidaire, pour une histoire dure comme un roc de lave.

 

J’ai concouru avec cette nouvelle et j’ai reçu le prix :

FORUM-  FEMMES - MEDITERRANNEE

Voir le site de cette association

 

 

Ecoute bien l'histoire du bébé.

 

Elle est bien, elle a chaud, elle dort. Elle bouge, elle glisse, elle a mal. Elle souffre, ses poumons vont éclater, elle hurle. Elle se calme, elle a chaud, elle est bien, elle dort. Elle a mal au ventre, elle crie.

C'est doux, c'est chaud, c'est tiède. Ça coule dans sa gorge. La douleur disparaît. Ça bouge, ça crie autour d'elle. Elle a mal, la douleur au ventre la reprend, elle crie. Tout devient noir, il fait froid, il fait très froid, très, très froid, ses membres s'engourdissent, elle s'endort.

 

Elle bouge, la lumière apparaît, la chaleur revient.  Une odeur forte, une chaleur triste, une pauvre chaleur, mais si tendre, si douce et puis, du blanc, du blanc partout, des bruits qui claquent et... le bien-être, la chaleur revient, elle pénètre son corps. Elle est calme, elle est bien. Elle a chaud, elle dort.

Sa vie ne tient qu'à un fil. Ce fil d'air qui va et vient entre ses lèvres.

 

Ecoute bien l'histoire du vieil homme.

 

Il a froid, pas vraiment faim. Il faut dire qu'en ces temps de fête, c'est plus dur d'être pauvre. La nature a vraiment tout fait cette année, le froid et même la neige. Il a passé la nuit dans une station de métro que la ville de Paris a bien voulu laisser ouverte pour les gens dans son cas. C'est qu'ils sont plus de dix mille, cette année, sans abri. Au matin, il est venu dans ce terrain vague, pas vraiment une bonne idée, parce qu'avec ce froid. Il est là, assis sur un vieux pneu, légèrement désemparé, comme s’il cherchait comment utiliser sa journée. Soudain il s’entend parler tout seul.

-Tiens ! Un sac en plastique bleu. C’est la couleur de la mer et ça sert de poubelle à l’humanité. Oh, merde, ça bouge ! Des petits chats probablement. Et il ajoute en bougonnant. Si c’est pas malheureux. Peu -être que je pourrais en sauver un cette fois-ci ! Cela fera un petit compagnon à ma solitude.

 

L’homme s’approche et entrouvre le paquet. Aussitôt il tombe à genoux et prends l’enfant contre lui. Les larmes lui montent aux yeux. En un instant il a ouvert son pardessus de laine, sa veste et sa chemise et l’a glissé contre son corps chaud. Mon Dieu que cet enfant est froid. Sa pauvre chaleur a bien du mal à réchauffer cette petite vie. Le vieil homme tremble, il a peur. Comme pour le petit chat la dernière fois, mais le petit chat était mort.

 

Il pense à l’hôpital. On sauve des bébés de nos jours, parfois ils sont dans des situations extrêmes. Ils, pourront surement l’aider. Alors il court, il court, les larmes de ses yeux lui brûlent les joues. Il n’a pas d’argent et sans argent  pas de métro. Mais l’hôpital n’est pas si loin. Ah ses jambes de vingt ans, si elles étaient là, comme pendant la guerre d’Algérie. Mais il courrait pour sauver sa vie !

 

Il halète, il s’arrête. Est-ce lui qui a plus chaud après cette course ou est-ce le bébé qui se réchauffe ? Il entrouvre sa veste et grimpe les marches de l’hôpital. Une infirmière se précipite. Le bébé ! Oui asseyez-vous là, nous faisons le nécessaire. Il s’assoit, il laisse partir cette petite vie vers l’inconnu et la sécurité.

 

Il est seul à nouveau, il aurait préféré un petit chat. Le petit chat au moins il aurait pu le garder. Comme il fait chaud et qu’il est bien fatigué, il attend.

 

Il est midi, il a vaguement faim. On le secoue :

-Monsieur ! Monsieur, la police est là. Il s’enfuit…….

 

Ecoute bien l’histoire de la jeune femme.


Elle avait hurlé toute la nuit, au matin s’était endormie. Le lit était plein de sang. Elle avait eu la force de langer son bébé avec une serviette de table, deux épingles et une petite brassière qu’elle avait acheté en cachette, le jour où elle avait su. Heureusement elle avait tout mis sous son oreiller la veille au soir. Il n’était pas question de se lever. Qu’elle est jolie sa petite fille ! Elle a le teint mat, les yeux noirs de son papa et les cheveux blonds de sa maman. Violette, première fleur du printemps. Quel joli prénom.

 

Dans deux ou trois jours, je sortirai par le soupirail de cette cave et je retrouverai Yassim. Yassim que je n’ai pas revu depuis quatre mois, se dit la jeune maman. M’a-t-il oublié ? Je ne pense pas, mais comment aurait-il pu me voir avec mes parents ?

 

Tout à coup la porte s’ouvre. Sa mère apparait et sans un mot prend violette dans ses bras. Le cœur de Sylvia se serre. Peut-être qu’en voyant le bébé, elle pliera et acceptera le mariage. Mais l’espoir fait place à la terreur, le bébé crie, la mère l’emporte, les cris s’éloignent ….. le séjour, ….. la porte d’entrée, …. le silence…..

 

Sylvia se lève, la tête lui tourne. Son bébé, où est son bébé ? Elle s’évanouit. Ce n’est pas le bruit qui la réveille mais le silence, le silence angoissant de la mort. Elle se lève à nouveau, va à la porte, elle est ouverte ! Pourtant depuis tous ces mois, elle était toujours fermée. Elle frissonne, la maison est vide, pas de meubles, rien. Sa main attrape son manteau.

 

La neige couvre Paris, Sylvia ne la voit pas. Elle n’entend pas, non plus, les réflexions des gens sur son passage. Le regard halluciné par la fatigue, elle marche vers la seule amie qu’elle a au monde, Madame Duchemin, la femme de service de l’hôpital. Ses pieds gelés dans ses pantoufles mouillées ne la fons même pas souffrir. Elle est dans la rue grouillante de monde. Enfin ! Les marches de l’hôpital. Les forces lui manquent. Elle titube.

 

A cet instant, des bras la reçoivent, des bras fragiles mais qui savent encore donner. L’infirmière de l’entrée s’exclame :

-Eh bien vous alors, c’est votre jour !

Le vieux clochard entouré de policiers raconte, raconte et ne comprend pas pourquoi tout le monde le regarde avec tant de gentillesse.

-Monsieur, dit la major, venez, je crois qu’il-y-a quelqu’un qui tient à vous remercier.

 

A la porte de la chambre, le vieux monsieur hésite. Que va-t-il dire ? Qu’il voulait sauver un petit chat ? Elle est si jolie cette jeune femme avec ce bébé dans les bras qui dort repus contre son cœur. Le vieux monsieur s’assoit sur la chaise des visiteurs et la jeune femme lui tend la main. Une main si blanche, si fragile. Il la prend dans les siennes, calleuses et protectrices. Les yeux de Sylvia croisent le regard du vieil homme. Les mots sont inutiles. Des larmes de reconnaissance coulent sur ses joues, des larmes de bonheur, de profonde tendresse envers cet homme qui lui est totalement inconnu. Lui ne sait plus. Il tient cette main, il regarde cette jeune femme, cet enfant et il revoit sa femme enceinte, morte pendant la guerre d’Algérie.

 

La jeune mère s’est endormie. L’homme prend le bébé dans les bras et le dépose tendrement dans son berceau, tout est calme. Il s’approche de la fenêtre et regarde. Au dehors, la ville bouillonne de ses allées et venues de fête.

 

La porte s’entrouvre, un jeune homme apparait. La jaune maman s’éveille aussitôt.

-Yassim, enfin tu es là ! Le vieil homme se retourne

-Vous disiez ? Mais ce n’est pas à lui que la jeune femme parle. C’est à ce beau jeune homme, assis sur le lit, qui l’embrasse, l’enlace et la couvre de baisers.

 

Le vieil homme sent alors sur lui un regard qui pèse lourd, un regard puisant, comme revenant du passé. Ses yeux sont attirés vers l’embrasure de la porte où une femme se tient debout. Elle le regarde intensément de ses yeux noirs et profonds.

 

Les jeunes amoureux, tout à leur bonheur, n’ont rien vu de la scène qui se passe derrière eux. L’homme n’ose pas bouger, le dos à la fenêtre, les mains sur le radiateur il sent ses jambes lui manquer.

 

Après dix-huit ans, elle est belle, elle est fière comme quand il l’a connue, peut être une certaine tristesse dans le regard. Mais non, cette tristesse disparaît, ce regard s’éclaire, ce visage s’illumine. Et lui, lui, il sent son corps fatigué reprendre vie, son dos vouté se redresser, sa poitrine se gonfler de joie. Des images de guerre passent en flash devant ses yeux.

 

C’est elle, c’est bien elle……. Sa femme !

 

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