A la recherche d’Ariane

Françoise Contat    Mai 2005

De l’autre côté du portique du Sphinx

Le portique du Sphinx se referma derrière eux. Jason le gaïen regarda ses amis :

Tashi-Kal le pisteur, celui qui lit les traces, l’homme aux yeux qui voient tout.

Wou-Ti la “née du vide”, l’invulnérable, la femme aux mots magiques.

Balthor le mire, le porteur de remèdes, l’homme qui guérit les maux du corps et ceux de l’âme.

Et enfin Argana, l’exigente, la rigoureuse, la fille de Shani la très ancienne, accompagnée de son ombre : une oie des neiges.

 

Jason relut une fois de plus le document que lui avaient confié les sages. C’est lui qui les avait amenés de l’autre côté du portique du sphinx, dans cette partie inconnue de l’univers qu’on appelait Kaoland. Ses quatre amis près de lui lisaient aussi.

 

va, dans l’Angle mort du futur

à l’oratoire maRginal des mondes

où ta vIe n’est qu’un seuil d’augure

par la vivante écriture qui se grAve et disparaît

dans le soliloque humide et daNsant des sables

quand les pierrEs ricochent au ras des silences

 

Comme ils ne savaient que chercher, ils décidèrent d’explorer ce territoire. Devant eux s’étendait une large plaine en couloir, désertique et silencieuse. De part et d’autre de cette plaine infinie des montagnes couvertes de neige. Pas un arbre pas un souffle d’air. Ils s’éloignèrent du portique. Le ciel était clair, l’air chaud. Leur vêtements, quoique épais, ne les incommodaient en rien. Argana proposa de faire un vol de reconnaissance sur le dos de son oie. Elle décolla quelques instants plus tard. Les argonaute la suivirent du regard puis reprirent leur marche. Ils marchèrent ainsi plusieurs heures. Le portique était depuis longtemps invisible. De temps en temps Tashi-Kal prenait des repaires qu’il notait avec soin, soit dans un carnet qu’il portait dans une de ses poches, soit simplement dans sa mémoire prodigieuse. Parfois aussi il gravait des signes dans la pierre brute, seul relief qui ponctuait le sol par endroit. Jason observait tout, à l’affut de la plus petite information en corrélation avec le texte du document qu’il connaissait par cœur.

 

Le pays sans lumière

(Intervention du Soleil le grand père d’Ariane)

 

Soudain, la nuit arriva de nulle part, comme une pierre qu’on jette dans l’onde. Elle ouvrit ses anneaux d’encre noire et déversa le liquide opaque. Le Soleil leur refusait sa lumière.

 

En quelques instants, Jason ne distingua plus ses compagnons. Il cria leurs noms, chacun répondit et se rapprocha de lui. Ils marchaient tous mains en avant, brassant l’air vide. La nuit les entourait, les cernait, les oppressait comme si elle était faite de milliers de particules de plomb fondu. Chaque pas demandait un effort surhumain. Leurs appels, d’abord clairs, devinrent sons, bruits, borborygmes in attribuables à des êtres doués de sens. Bientôt ils ne reconnaissent plus, ni les mots qu’ils prononçaient, ni leurs voix.  Jason ne bougea plus, tétanisé par ce qu’il venait de comprendre. Pris de vertige il s’assit sur le sol puis s’allongea. Le dos à plat, la paume des mains dans la poussière chaude, il réfléchit.

 

Le cœur de la terre battait au rythme de son propre cœur. Une idée s’imposa alors à lui : ses compagnons faisaient de même. Tous étaient allonges sur le sol, tous touchaient terre. Tashi-Kal devait se trouver à sa droite, dernier endroit d’où était venue sa voix. Wou-Ti marchait derrière lui à quelques pas en compagnie de Baltor. Ils étaient donc dans l’alignement de sa tête. Quant à Argana il était difficile de la situer puisqu’elle voyageait sur le dos de son oie des neige et ne touchait presque jamais terre; par contre il pourrait sentir l’oiseau et peut être l’entendre au bruissement de ses plumes. Les bras en croix il attendit.

 

Le lien

(en référence au fil d’Ariane qui permit à Thésée de se repérer dans le labyrinthe )

 

Un souffle léger, puis un contact à l’extrémité de sa main droite lui fit comprendre qu’il venait de prendre contact avec Wou-Ti par l’intermédiaire d’une petite pelote de fil. Sans bouger il enroula le fil autour de son doigt et lança, délicatement, la pelote vers la droite. Quelques instants plus tard, il la recevait à nouveau au niveau de son genou droit. Il tira doucement. Déjà la main puissante de Tashi-Kal serrait la sienne. Cependant il ne fallait pas bouger, ou peu. Le pisteur s’allongea à plat ventre à côté du chef des argonautes et, étirant les bras le plus possible sans toucher terre, caressa la poussière. Il sentit une légère dépression cannelée. La pelote de fil était passée par là. Il fallait, à présent, définir l’orientation de sa venue. Après plusieurs estimations tactiles et silencieuses les deux amis renvoyèrent la pelote. Un cri fit écho. Tashi-Kal maintint le frêle lien et bientôt quatre corps s’enlaçaient dans la joie.

 

Elle fut de courte durée. Un froid polaire s’installa bientôt. Heureusement les compagnons s’étant retrouvés ils avaient aussi retrouvés leur matériel. Sans perdre contact avec leurs corps, seul lien de parole absente, ils s’engoufrèrent dans l’abri que venait de déballer Balthor. Argana ne craindrait rien cette nuit, installée au creux des plumes de son oie des neiges elle pourrait supporter les températures les plus basses.

 

L’aube se leva timide au-dessus des montagnes. Le soleil à présent leur faisait grâce et dispensait ses rayons bienfaisants. Il réchauffait les corps glacés par la nuit. Jason réveilla Wou-Ti et Balthor. Tashi-Kal debout devant l’abri scrutait les montagnes à la recherche d’Argana. Après cette nuit d’angoisse ils se comprenaient à nouveau.

 

Le pays des pierres mouvantes

(intervention de Persa l’Océanide et grand-mère d’Ariane)

 

Le paysage était devenu lunaire la terre grise, poussiéreuse, poudreuse, sableuse, était piquée de milliers de roches rondes de toutes tailles et de toutes couleurs. Usées, érodées comme des galets de mer, polies comme brassées des années entières dans des marmites de géant invisibles, les roches semblaient des soldats montant la garde. Pas un souffle d’air ne caressait la peau des argonautes.

 

Au cri de l’oie des neiges tous levèrent les yeux vers le ciel. Argana les avait rejoints. Quelques instants plus tard, devant une légère collation, elle leur faisait part de ses observations. Au-delà des montagnes il n’y avait rien qu’une autre vallée semblable à celle où ils étaient et au-delà de cette autre vallée une autre montagne enneigée. Pas d’eau ne s’écoulaient de la neige. Ce monde était figé.

 

Rassasiés, heureux d’être de nouveaux ensembles, ils reprirent leur quête. 

 

Tashi-Kal qui continuait sa prise de repères dans cet univers inconnu, fit remarquer à ses compagnons que, près de chaque pierre ronde, il y avait dans le sol tendre une petite traînée, comme une écriture, comme un parafe. Jason vit que chaque sillon de chaque pierre était, quoi que sinueux, parallèle; comme si les pierres avançaient dans le même sens vers un but commun. Il s’allongea sur le sol pour en observer une. Ses amis allaient faire de même quand Wou-Ti se mit à rire en disant :

- Regardez, une pierre avec des racines. Elle brandissait, en tournant sur elle-même, une de ces curieuses pierres; mais celle-ci avait des fibres qui s’en échappaient semblables à des racines. Baltor se précipita.

- Ne touche à rien!

Déjà Argana avait arraché la plante des mains de Wou-Ti et, genoux en terre, comme en prière, la replantait à l’endroit même d’où l’inconsciente l’avait arraché. Elle tassa enfin la terre laissant une petite tâche brunâtre à l’endroit où l’espace avait été modifié.

- Prenons garde à ne pas déranger les âmes de ce lieu, ajouta Balthor. Tout est vivant minéral et végétal. Nous sommes les intrus.

 

La réaction ne se fit pas attendre l’instant suivant Jason criait en montrant le fond de la vallée d’où ils étaient venu. Le ciel clair n’existait plus. A sa place une masse soulevait le sable-poussière par ondes comme les vagues géantes enflent l’océan. Cette masse se rapprochait à la vitesse d’un loup en chasse. Les argonautes se précipitèrent vers le premier abri qui leur sembla susceptible de les protéger, un énorme rocher de couleur noire qui se dressait arrogant dans cette immensité. Ils se retrouvèrent bientôt tous les cinq tapis à ses pieds. L’oie des neiges s’était envolée à l’approche du danger vers la cime des montagnes. Le danger paraissait se contenir dans la vallée. Jason risqua un œil. Ce qu’il vit lui glaça les sens. Un énorme mur fait de milliers de gouttelettes d’eau en suspension avançait vers eux. Quand il fut à la hauteur du rocher noir il ralentit, puis stoppa. Les argonautes se relevèrent et, intrigués, firent face à la masse humide. L’instant suivant ils revenaient derrière le rocher car le mur continuait son avancée en les cernant. A  présent il avançait centimètre par centimètre, défiant toutes les lois de la physique comme un tortionnaire faisant durer le plaisir. Il y eut un tremblement et le rochet noir se mit à vibrer puis à avancer sous la poussée du mur d’eau. Les argonautes reculaient tout en faisant pression sur le rocher noir. Jason et Tashi-Kal bandaient leurs muscles les bras leur faisaient mal mais le rocher progressait toujours Wou-Ti, Argana et Balthor essayaient d’aider leurs compagnon mais leur force étaient dérisoire face à la puissance de l’eau. De part et d’autre du rocher noir en mouvement le mur d’eau se rapprochait bloquant toute évasion.

 

La grue blanche (la lumière) (le rêve)

(en référence à la technique de combat qui permit à Thésée de tuer le Minotaure)

 

Soudain Jason devina, plus qu’il n’entendit son nom dans la masse mouvante. On l’appelait. Il tendit l’oreille, plus rien. Il scruta le mur liquide et finit par y déceler une lumière. Le bruit était devenu tel qu’il fallait hurler pour s’entendre. Jason se tourna vers Tashi-Kal pour lui demander s’il voyait aussi cette lumière ou s’il avait entendu crier son nom. Balthor ferma les yeux. Il parla par la pensée à Jason. Le chef des argonautes entendit le message et ferma les yeux, Tashi-Kal qui le regardait ferma les yeux lui aussi, suivi aussitôt par Argana et Wou-Ti. Dans le bruit de cataracte il y eut un apaisement. L’enfant Baboo, par-delà le portique du Sphinx leur envoyait un rêve. Dans le miroir de leurs âmes captives évoluait une grue blanche. Elle  dansait pour sa parade nuptiale. Soudain la grue se transforma. Ils avaient devant eux Ilona la fougueuse, l’éclaireuse, la femme porteuse de lumière. Et le bâton lumière brisait le mur d’eau.

 

Comme un éclair les rêveurs ouvrirent les yeux. Déjà Jason attrapait les mains d’Argana et de Wou-Ti. Tashi-kal derrière lui faisait un rempart de son corps au frêle Balthor. Ils couraient tous à travers le mur d’eau, droit devant eux, vers la lumière.

 

Trempés, ils s’engouffrèrent dans le fond d’une grotte où Ilona les attendait son bâton lumière étincelant à la main. Tashi-Kal enlaça Ilona et la fit sauter en l’air. Laissant à plus tard : effusions et explications, Jason retourna à l’entrée de la grotte. Le mur d’eau avait disparu. Ne restait que l’étrange vallée aussi sèche et désertique que quelques heures plus tôt. Mais tout au fond, dans un déchirement de brume montant de la terre, il aperçut une construction de pierres rouges.

 

Un moment plus tard, dans la grotte autour d’un bon feu qui séchait leurs vêtements, Ilona leur expliqua que prévenue trop tard elle avait passé le portique du Sphinx bien après eux. Heureusement que Wou-Ti, par coquetterie, avait fait graver par son chausseur un œil dans la semelle de ses sandales fines, car c’était grâce à ces marques dans la poussière qu’elle avait pu les suivre.

 

Tashi-Kal lui demanda comment elle avait passé le pays sans lumière mais elle lui répondit avoir très bien dormi par une nuit fraîche, sans doute, mais éclairée par la douce lueur d’une lune d’opale. Par contre elle avait vu le mur de gouttes d’eau se déplacer et les encercler. C’est elle qui avait appelé l’enfant Baboo, le maître du rêve à leur aide et qui avait trouvé la grotte comme abri. Son bâton lumière avait fait le reste.

 

Le pays des demi-âmes

(Intervention de Parsiphaé mère d’Ariane)

 

Le lendemain toute la troupe, sous la conduite de Jason prit le chemin pour la construction de pierres rouges. Elle paraissait assez proche. Peut-être une demi-journée de marche. Balthor trouva des cactées qui renfermaient un suc qui les désaltéra. Avant de les couper il avait pris soin de s’excuser auprès des Dieux, en pratiquant une sorte de rituel commun à beaucoup de peuples de l’univers. Le manque de réaction avait conforté les argonautes dans le fait que cette terre les avait probablement acceptés.

 

Les trois hommes marchaient devant en silence les yeux pointés vers le but apparent de leur périple. Jason songeai qu’il avait passé le pays des pierres qui ricochent. Il avait traversé le sable humide et dansant. Il avait lu la vivante écriture des pierres. Qu’allait-il trouver à présent. Il se tourna vers Ilona pour la questionner sur ses réflexions quand il ne put retenir un cri. La charmante jeune femme aux yeux de loup avait perdu une partie de son corps. Elle disparaissait doucement et il en était de même pour Argana la rousse et Wou-Ti au teint d’ivoire. Les trois hommes firent cercle autour des trois femmes qui s’estompaient de seconde en seconde. Bientôt,  elles ne furent plus qu’un souffle d’air qu’une nuée. Pourtant leur présence était indéniables, mieux, elles parlaient et ne semblaient nullement incommodées de leur nouvelle condition.

 

La fontaine de l’oubli

(en référence à Thésée qui a tué  tous les enfants de Parsiphaé : Androgée (le premier fils) le Minotaure (le fils de Poséidon) et emporté les deux filles Phèdre qu’il va épouser et Ariane qu’il abandonnera sur l’île de Naxos)

 

Les trois hommes décidèrent de s’arrêter où ils étaient. De ne pas faire un pas de plus et ils supplièrent leurs compagnes d’en faire autant. Wou-Ti, la fantasque, continua elle se sentait légère comme l’alouette et s’imaginait que deux ailes poussaient sur ses omoplates. Heureusement Tashi-Kal, celui qui voit tout, vit les yeux dans la poussière. Les pieds de Wou-Ti se déplaçaient, elle marchait, elle s’éloignait toujours vers la construction de pierre rouge. Le pisteur se jeta  dans l’air et, la ceinturant, la plaqua au sol. Wou-Ti, croyant à une farce, fit retentir son rire cristallin. Au même instant Jason vit s’éloigner le bâton lumière d’Ilona et, lui aussi, plaqua au sol la conquérante, l’éclaireuse, qui riait et ne comprenait pas ce nouveau jeu. Alors Baltor chercha des yeux Argana. La jeune femme ne portait rien, ne marquait pas la poussière, juchée sur son oie qui faisait tant partie d’elle qu’elle avait aussi disparu. Il ôta un de ses gants blancs qui protégeaient ses mains brûlées et mit sa peau transparente en contact avec l’air. Cela lui fit mal mais il résista. L’oiseau avait compris. Il passa ses plumes invisibles sur cette chair sensible. L’homme réagit, attrapa la plume puis l’aile puis l’animal entier et sa cavalière qui éclata de rire. Promptement il remit son gant blanc.

 

Jason eut une idée. Ilona jetée sur son épaule il revint sur ses pas en courant. Tout doucement le corps d’Ilona réapparut. Près des cactées elle avait repris toute son apparence. Tashi-Kal se chargea des deux femmes à tour de rôle et quelques longues minutes plus tard tout était rentré dans l’ordre.

 

Ils marchèrent à nouveau vers la construction de pierre rouge sans toucher à quoi que ce soit, sans prélever quoi que ce soit de cet univers étrange. Ils arrivèrent enfin devant une espèce de temple aux pierres rouges sang.

 

La porte béante était accessible par une volée de marche qu’ils montèrent avec précaution. Le trou s’ouvrait sur un escalier sombre de pierres taillées dans la roche qui descendait dans les entrailles de la terre. D’ailleurs le temple n’avait pas été construit comme le pensaient en premier les argonautes mais creusé dans la roche. Une observation plus poussée des murs les avait amenés à cette conclusion. La lumière extérieure ne pénétrait pas le bâtiment comme si la porte était protégée par un champ de force. Les six compagnons s’assirent en cercle sur la terrasse extérieure. Jason sortit de sa poche le document confié par les sages. Ilona ne l’avait pas encore vu. Jason lui tendit le morceau de parchemin.

 

va, dans l’Angle mort du futur

à l’oratoire maRginal des mondes

où ta vIe n’est qu’un seuil d’augure

par la vivante écriture qui se grAve et disparaît

dans le soliloque humide et daNsant des sables

quand les pierrEs ricochent au ras des silences

 

Elle le manipula un instant puis se mit à le déchirer ligne à ligne. Ensuite elle posa les lignes sur la pierre, plaçant en dessous les unes des autres chaque lettre en majuscule. Un nom apparut : ARIANE. Ilona ajouta:

- Je crois qu’il faut que tu trouves cette femme et je crois que nous sommes devant chez elle.

- Je crois aussi qu’il faut que tu nous laisse tes vêtements ajouta Wou-Ti.

 

Jason remercia ses compagnons se dévêtit et entra dans le tempe couleur de sang. Il descendit les marches de pierre dans la pénombre. Son corps ne craignait pas le noir et son cœur était en paix. Il descendit jusqu’a sentir un sol plat. Là s’aidant de ses mains et du son de sa voix qu’il envoyait en échos réguliers il se dirigea dans le dédale de roches sans quitter ce qui semblait être un chemin de poussière. Chaques fois que ses pieds nus rencontraient une roche il tâtait le sol et revenait dans le doux chemin. Il marcha longtemps dans le gouffre noir avec l’impression parfois de tourner en rond. Enfin il aperçu une lueur. Il était arrivé de l’autre côté.

 

Sur le chemin d’Ariane

 

Au sortir du temple le chemin se partageait en quatre. Trois chemins à droite filaient, vers des vallées arides cernées de montagnes enneigées semblables à celle qu’il avait parcourue. Celui de gauche semblait creusé entre deux murs de pierres qui taisaient les rayons du soleil.

 

Jason s’y engagea. Les pierres étaient hautes comme un enfant qui se cache dans les jupes de sa mère et longues comme le pas d’un homme. Son corps recevait chaleur et lumière mais ses pas restaient dans la pénombre de la pierre. il regardait droit devant lui. Le chemin semblait linéaire pourtant on n’en devinait pas la fin, comme si une courbe sensible l’estompait à ses yeux. Tout doucement le chemin se rétrécit, insensiblement, à chaque pas de Jason. Non que les murs se rapprochassent mais il se rétrécissait. Bientôt deux bœufs en attelage y auraient raclé leurs cornes dans la pierre. Le sol poudreux de sable ocré mélangé d’argile rouge collait aux pieds du chef des argonautes laissant une empreinte visible. Il se retourna. Tout là-bas le carrefour paraissait couvert de brume.

 

Jason continua d’avancer. Par endroit il devinait, sous le sable des dalles d’ardoise noire qui résonnaient avec un bruit sec. Bientôt le chemin se dessina plus précisément à ces pierres imbriquées comme des écailles. Elles faisaient penser à la peau d’un poisson ou au dos d’un serpent géant. Le chemin se rétrécit encore. A présent Jason touchait les murs de ses bras écartés. A son essoufflement il réalisa qu’il montait. Il se retourna pour la seconde fois. Le carrefour avait disparu dans une courbe de l’étrange chemin. Il marcha toujours, L’espace entre les deux murs laissait à peine, à présent, le passage d’un homme robuste.

 

Soudain une porte s’imposa à Jason. Le chemin s’arrêtait là. Ce n’était pas une porte fermée mais la peur lui prit le ventre. Elle était basse de sorte qu’il fallait s’accroupir pour la passer, de plus une poutre de pierre posée en travers, sur le sol, obligeait à enjamber le passage. Courbé en deux, il passa.

 

Le sol devint gluant et vira au vert abysse. Jason avait l’impression de marcher sur une matière visqueuse qui humidifiait ses pieds. Occupé à regarder la masse gluante qui lui paraissait vivante il ne fit plus attention à ce qui se passait autour de lui. Relevant doucement la tête, il réalisa plus qu’il ne vit que les murs avaient disparu et s’étaient transformés en une étendue sableuse d’un ocre clair identique au sol dans lequel ses pas s’étaient imprimés à la sorte du carrefour quand il avait emprunté ce curieux chemin.

 

 

Le pays sans ombre

(Première rencontre avec Ariane)

 

Une lumière aveuglante venue de nulle part baignait ce désert de sable blanc. Jason cligna des yeux. Ils lui faisaient mal. Une odeur entêtante de sueur chaude mêlée à la fragrance d’une chevelure attira son attention vers la droite.

 

Une femme se tenait là, dans la lumière brûlante. Elle lui tournait le dos et égrenait de sa main droite en coupe le sable blanc, comme une main pieuse égrène un chapelet de prière. Les grains immaculés virevoltaient dans l’air impalpable hypnotisant le conquérant de la toison d’or. Elle était vêtue d’une tunique ocre jaune attachée par une fibule d’or sur l’épaule droite laissant la gauche, à la forme délicatement arrondie, nue. Une simple corde de soie verte enserrait sa taille fine. Ses pieds, posés sur le sable blanc, ne le marquaient pas comme si elle ne pesait pas plus, sur les grains lumineux, qu’une plume d’oiseau sauvage oubliée par le vent.

 

La fragrance entêtante de sa chevelure enivrait l’homme mortel. Ses jambes se dérobaient, sa tête lui faisait mal. La jeune femme se retourna et plongea son regard dans les yeux noirs de Jason. Il sentit une décharge qui entra en lui jusqu’au plus profond de son être. Elle posait des questions à son âme et il répondait à tout ce qu’elle voulait savoir. Elle allait si vite que les mots se mêlaient dans sa tête. Il ferma les yeux mais elle était là, encore plus présente. Il tomba à genoux, non par respect, mais d’épuisement. Elle continua ses investigations encore quelques instant puis l’abandonna, pantelant, face contre terre.

 

La brûlure du soleil le réveilla. A la place de la délicate apparition il trouva un triangle de pierre. Le gaïen chargé de mission par les mages ramassa ce premier indice et en se traînant, douloureux, refit en sens inverse le chemin qu’il avait parcouru. Il retrouva ses compagnons a la croisé des chemins. Ils avaient vaincu leur peur et avaient franchi le gouffre du temple. Le retour au portique du sphinx se fit sans encombre. Mais à quoi pouvait bien servir ce triangle de pierre que Balthor ne cessait de regarder.

 

 

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