Conte Badan et Badanis

BADAN LE VIEUX

 

Badan et Badanis    Conte du Caucase

Henri Gougaud (Je crois)

Autrefois au pays des Nartes, quand un vieil homme ne pouvait plus se hisser seul en selle, ni bander son arc à la longueur de la flèche, ni lancer sa fourchée de foin à la cime de la meule, on le mettait hors du village au sommet de la montagne des ancêtres, on le faisait asseoir dans un chariot d’osier, on lui disait adieu et sur la pente raide on le laissait aller au précipice.

Vint le temps ou Badanek s’aperçut que son père Badan avait atteint ce grand âge triste. Or Badanek aimait ce vieil homme qui lui avait fait goûter les merveilles du monde. La pensée d’avoir à le pousser a la mort l’emplit tout à coup d’effroi et de chagrin. Pourtant comment ne point obéir à la coutume ? La gorge nouée, il tressa le chariot d’osier, prit le vieux Badan par la main et le conduisit sur la montagne. Là, il l’embrassa et lui dit :

-Père, je ne désire pas te faire périr, mais la loi des Nartes l’exige. Sois béni pour le bien que tu m’as fait. Badan ne répondit pas. Son silence pesa comme une lourde pierre dans le cœur de son fils. Badanek l’aida à s’asseoir dans le chariot et d’une rude poussée le précipita vers la vallée rocailleuse et profonde.

Il le  regarda cahoter misérablement, tressauter sur les cailloux de la ravine, ferma les yeux à l’instant ou il basculait dans le gouffre. Quand il osa les ouvrir à nouveau, il vit Badan gesticuler grossièrement entre ciel et terre, accroché par son vêtement à une branche d’arbre sec. Il courut à lui, à grand peine le décrocha. Son père riait aux larmes. Badanek, tout bouleversé, lui demanda ce qui l’amusait ainsi. Le vieux Badan lui dit :

-Peut-être la même branche te sauvera-t-elle quand ton fils t’aura jeté du haut de la montagne. Peut-être alors seras tu aussi content que moi, après avoir eu aussi peur que moi. Le bon rire de Badan émut grandement Badanek, il resta un moment silencieux, puis secoua la tête et grogna :

-Père je ne te pousserai pas une deuxième fois au précipice. Que les Nartes fassent de moi ce qu’ils voudront.

-En vérité, mon fils, lui répondit Badan, je n’ai pas le gout de vivre sans rien faire. Une existence inutile est pire que la mort. Cependant est-il certain que je ne peux plus rendre le moindre service aux vivants ? Réfléchis à cela. Mon corps est faible, certes, mais ma vieille tête est une coupe pleine de bon savoir.

Badanek mena son père dans une caverne de la montagne. Dans l’ombre de la voûte, il installa pour son repos une épaisse litière de feuilles sèches. Après quoi il lui dit :

-Tu vivras ici. Ne te montres a personne. Si les Nartes apprenaient que j’ai violé la coutume, ils me chasseraient du village. Deux fois par semaines je t’apporterai à manger. Il serra son père sur sa poitrine forte et s’en revint vers les travaux des jours.

Deux années passèrent.

1-Or, il advint qu’au troisième printemps tous les fruits des vergers alentours du village se flétrirent d’un coup. La désolation fut grande parmi les hommes. Ils  s’assemblèrent, interrogèrent les arbres, la terre, le ciel, mais nul ne put trouver remède à ce fléaux. Alors Badanek s’en alla visiter son père. Il s’assit contre la paroi de la caverne et, la tête basse, lui demanda conseil.

Le vieux lui dit :

-Au cœur de la forêt sont deux fruitiers parfaits : un pommier et un  poirier. Allons cueillir leurs fruits. Tu sèmeras leurs pépins. Des arbres neufs, aussitôt pousseront, mille fois plus beaux et vigoureux que ceux des vieux vergers.

-Comment sais-tu cela ? demanda Badanek, étonné. Badan sourit. Ils s’en furent ensemble par un chemin secret. Le soir même furent enfouis les semis. Le lendemain les feuillages fleurirent. On fêta Badanek,  le sauveur des récoltes. Des femmes lui demandèrent où il avait appris ce savoir qui les émerveillait. Il ne répondit pas.

2-Un mois plus tard, la même nuit, périrent tous les béliers des troupeaux. Les bergers effrayés s’en vinrent aussitôt frapper à la porte de Badanek.

-Ta science est grande, lui dirent-ils. Aide nous. Sans agneaux à naitre, comment vivrons-nous l’an prochain ? Badanek promit de réfléchir.

Dès, que les lumières furent éteintes aux seuils des portes. Il s’en fut à la caverne. Il y trouva son père endormi sur sa litière moelleuse. Il le secoua, lui appris le désastre et lui demanda ce qu’il fallait faire.

-Je connais le pré où le génie des troupeaux mène paître ses béliers, lui répondit Badan. Je vais te dire comment s’y rendre. Tu y conduiras ensemble toutes les brebis du village, et bientôt elles mettront bas.

Le fils, remercia le père, lui demanda encore comment il savait cela, mais, sans attendre la réponse, revint en courant au village. Le lendemain il dit à tous que Badan l’avait instruits en rêve et donna l’ordre d’assembler le bétail. Il s’en fut seul à la tête des troupeaux. Au soir, quand il revint, toutes les brebis étaient grosses. On regarda le fils de Badan comme le magicien le plus considérable du monde.

3-Vint l’été éblouissant et lourd. La veille des moissons, le ciel s’obscurcit brusquement, un prodigieux éclair le déchira et une averse de grêle épouvantable s’abattit sur les champs. En un instant, la récolte fut morte. Les hommes de désespoir s’en cognèrent le front contre terre puis, la tête bourbeuse, s’en furent supplier celui qui les avait deux fois sauvés d’accomplir encore un miracle pour le salut des enfants. Alors Badanek leur avoua qu’il n’était pas plus savant que le commun des mortels, et que seul son père savait ce qui devait être fait.

-Comment sais-t-il cela ? Lui demandèrent les hommes.

 Badanek répondit :

-Les vieillards sont familiers des mystères du monde, car le temps les a conduits sur le sommet de l’âge d’où l’on peut voir le chemin parcouru, autant que les vallées au-delà. Si vous acceptez d’abolir la coutume qui fait de nous des meurtriers orphelins, je vous conduirai à mon père que je n’ai pas eu le cœur de tuer. Vous vous inclinerez devant lui, et il apaisera votre détresse.

Nul n’osa répondre à ce discours, mais tous s’en furent en longue file dans la montagne où était l’ancêtre. Badan, les voyants venir, s’assit au seuil de sa caverne. Les hommes prirent place autour de lui et l’interrogèrent avec respect. Il leur répondit qu’ils trouveraient à profusion des grains pour de nouvelles semailles dans le champ du géni des blés.

-Je sais où il est, dit-il.

Il les conduisit dans ce lieu miraculeux. Les champs bientôt refleurirent et les vieillards désormais vécurent ce que Dieu seul leur donna d’années.

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J’ai une autre version que je racontais : plus crédible, moins magique

1-les fruits des vergers

Idem, recours à la forêt pour récupérer des graines ou des jeunes arbres.

2- périrent tous les béliers

Dans l’autre version ce sont les brebis qui ont le ventre qui gonfle il qu’il faut percer à l’aide d’une grande aiguille creuse (météorisation, gaz dans la panse trop de luzerne fraîche)

3- averse de grêle

Dans l’autre version ce sont des rats qui mangent les semences et le père conseille de d‘aller chercher les anciennes graines sur le chaume des toits. Les hommes battent le vieux blé et récupèrent de quoi ensemencer les champs.

 

 

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