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14 Le musicien et la louve

LE MUSICIEN ET LA LOUVE

Par Françoise Contat

C’est un conte que j’ai lu ou entendu une fois. C’est une chanson que je chantais quand je faisais partie de la chorale de mon lycée.

Je me suis dit que les deux iraient bien ensemble. Si vous savez d’où vient cette chanson, dites le moi. Merci d’avance.

 

Tout là haut dans l’alpage, là où les hommes ont mis une frontière entre la France et l’Italie, vivaient en toute liberté : Margot et Margas.

Leur amour leur tenait lieu de fortune et leurs métiers réjouissaient le cœur des hommes.

Margot et Margas s’étaient toujours connus et toujours aimés. Bien avant monsieur le Curé ils s’étaient mariés des dizaines de fois : près du torrent aux eaux transparentes, sur le plateau parmi les fleurs sauvages aux mille couleurs, même, une fois, sur le grand sérac au bord du glacier.

Ils étaient berger et bergère de naissance mais musiciens de vocation.

Margot chantait, Margas était violoneux. A chaque fête, à chaque bal, ils étaient là et animaient de leur joie naturelle la journée exceptionnelle.

Le soir du 25 décembre les villageois se réunissaient dans une grange pour danser. Chaque année une nouvelle fête, chaque année une nouvelle grange et les années passèrent.

Cette année là, dans la grange à Maturin, malgré les années passées par le froid et la bise, Margot avait une voix irréelle et chaude.

Cette année là, malgré les rhumatismes qui lui tordaient les mains, Margas avait fait tourbillonner les têtes et les cœurs jusqu’au matin, sans prendre un instant de repos.

C’est au matin du troisième jour après cette merveilleuse nuit que Margot est morte comme une chandelle devenue inutile devant l’astre du jour.

Elle n’était pas malade, simplement son cœur s’était arrêté.

Margas l’a mis en terre au village puis il est remonté dans l’alpage, dans sa maison vide avec son cœur vide et d’un an on ne l’a revu.

..........

Le soir du 25 décembre suivant ; il est arrivé devant la grange du père Mathieu. Il est passé devant toute l’assemblé qui avait fait silence, à grimpé sur la charrette qui servait d’estrade aux musiciens et s’est mis à jouer.

Au début les notes étaient comme engourdies ; elles ne savaient plus danser et virevolter comme avant.  Le violon avait besoin, lui aussi, de se réchauffer.

Mais petit à petit la musique a remplie la grange comme par le passé. Margas a joué toute la nuit et jusqu’au matin naissant.

Après mille remerciements, il a repris le chemin de sa maison.

..........

Il marchait d’un pas calme sur la neige qui crissait sous ses pas. Mille notes chantaient encore dans sa tête. Soudain il la vit sur le sentier enneigé.

Elle était sur le rocher, à la croisée du sentier de Val sombre, là où la forêt est la plus épaisse.

Il ne vit d’abord que ses yeux qui reflétaient le soleil naissant, puis sa silhouette argentée, puis ses babines rouges retroussées sur des dents encore tranchantes. La vieille louve l’attendait. Elle savait qu’il ne s’échapperait pas.

Margas, consentant, s’agenouilla dans la neige. La bête fière le dominait.

Il fit glisser le violon de son dos à son cou et, pour la première fois de sa vie, dans le silence de la montagne, aidé de sa musique, il se mit à chanter.

Notre amour était un grand rêve

Que je n’aurais pu vivre encore

Mais j’attends que ma vie s’achève

Pour te rejoindre dans la mort

Car nous n’avons pas l’espérance

De pouvoir nous revoir un jour

Jamais plus rien ne recommence

Ce qui fut sera toujours.

La vieille louve sauta du rocher dans la neige et s’approcha de Margas, une pate après l’autre, elle avait tout son temps. Son échine relevée frémissait. Elle se ramassa prête à bondir.

Il continua.

Quand je m’en irai vers la tombe

Mes pensées seront pour toi

Et dans le royaume des ombres

Tu resteras toujours près de moi

Pourront passer toutes les peines

Un grand calme sera sur nous

Pourra s’enfuir l’amour même

A jamais dans l’oublie de tout.

C’est à cet instant que leurs regards se croisèrent. La louve et Margas avaient le même regard. Ce regard qui ne regarde pas au dehors mais au-dedans. Ce regard qui fouille la mémoire à la recherche des souvenirs heureux.

Et la louve passa son chemin.

On dit qu’une vieille louve a traversé le village. Qu’elle est venue se poster sur le haut mur de cimetière, tout près de la tombe de Margot.

On dit qu’elle a hurlé toute la nuit et que sa plainte ressemblait à une chanson.

On dit même que c’est cette nuit-là qu’est mort Margas.

FIN

 

 

 

 

 

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