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Yol et la princesse sans sourire

 

A Jean Gaston, mon Dentiste

En ce temps-là, il-y-avait à la télévision une publicité (vite retirée je vous l’assure) où une maman menaçait du dentiste une enfant qui ne voulait pas manger. Mon dentiste en a été fort affecté et c’est pour lui rendre le sourire que j’ai écrit cette histoire. Je vous rappelle, pour mémoire, que tous mes contes sont écrits pour être raconté d'où les répétitions.

Le soleil inondait la Provence. Un homme marchait, depuis deux jours, sur le chemin qui serpente entre les collines. Parfois un bouquet de pins lui offrait son ombre propice mais, la plupart du temps, le soleil le piquait de ses rayons.

Cet homme c'était Yol. Il avait débarqué, il-y-a peu de temps, à Marseille et il se dirigeait vers les montagnes des Alpes. Un sac jeté sur l'épaule, une gourde attachée à sa ceinture, il marchait d'un bon pas.

Voilà que, sur le chemin, son pied heurta une petite pierre qui rebondit en jetant des éclats de lumière. Yol la ramassa, la tourna entre ses doigts. Elle était polie par le vent, lustrée par le soleil et parfumée par les herbes de la garrigue. Elle était, dans le creux de sa main, brûlante comme le baiser d'une femme.

Yol avança de quelques pas, en la faisant sauter dans sa main.

Brusquement il la lança avec force, comme s’il voulait marquer le ciel de son passage, en disant :

- Petite pierre, vole jusqu'au soleil et ramène-moi le bonheur !

Yol suivit du regard l'éclat blanc qui s'élevait et se fondait dans la lumière de l'astre du jour.

Un instant ébloui, il ferma les yeux. Mais par défi, les rouvrit et rattrapa la pierre juste au moment où elle allait rejoindre le sol. Il la serra dans le creux de sa main à en faire blanchir ses doigts. Puis, comme apaisé, il la glissa dans sa poche.

Vers le soir, il s'arrêta, pour manger au pied d’un olivier noueux et, quand le soleil eut disparut, s'endormit d'un sommeil paisible.

Au petit matin une douleur le réveilla. Il avait dormi sur le côté et la petite pierre lui avait meurtri la jambe. Le voyageur se frictionna et pensa à tous les baumes qu'il avait appris à confectionner quand il était en Egypte.

-Beaucoup de plantes médicinales poussent ici ! se dit-il ; peut-être que je devrais les ramasser et devenir guérisseur ?

Il marcha toute la journée cueillant, au hasard d'un vallon ou sur une crête, les plantes cachées au parfum sauvage, luttant contre le vent ou le manque d’eau, qui portent en leur sein des secrets, pour soulager et guérir les hommes.

La journée était brûlante et la gourde de Yol, vers le soir lui offrit ses dernières gouttes d'eau.

-Il va falloir trouver un village et surtout une source. Se dit-il ; sinon ce pays ne verra jamais "Yol le guérisseur".

C'est en passant le sommet de la colline suivante qu'il vit le château. Il estait  tapi au fond d'une vallée verdoyante. Une petite cascade, cadeau du ciel, jaillissait de la montagne et le torrent formé par cette eau, serpentait dans le vallon et drainait avec lui ses rives fertiles et ses champs cultivés. Yol força le pas.

Les derniers rayons du soleil se posaient sur la montagne où de grands rochers blancs jaillissaient comme des dentelles de pierre. L'ombre pesante d'un nuage s'étira langoureusement. Aucune vie ne paraissait animer les vieilles pierres. Les créneaux des tours étaient émoussés, la pierre des murs usée et vieillie, la porte de bois couverte de lierre ne servait plus depuis longtemps. Seule, la cascade, comme une respiration de la nature, semblait vivante.

En abordant le pont-levis, Yol eut un instant d'hésitation. Le pont avait l'air très ancien. Il s'arrêta et glissa sa main dans sa poche. La petite pierre était toujours là. Il la caressa et sembla lui demander de décider pour lui.

A droite du pont-levis se trouvait un cairn de forme ronde. Yol s'en approcha.

Il était composé de cailloux les plus divers. Ici un grand rocher couvert de mousse humide. Là un galet gris, poli par la mer, encore blanc de sel. Là une roche rouge oxydée et creusée puis une stalactite volée à quelque grotte mystérieuse. Le tour du cairn était constellé de pierres transparentes qui accrochaient chaque heure du jour comme un cadran solaire. Sur le haut, une énorme roche cristallisée, comme le jeune homme en avait vu dans le désert d’Egypte, coiffait le tout. Ça et là des petites pierres noires semblaient ponctuer cette écriture de pierre qui racontait les voyages des hommes, les pays lointains et mystérieux, les dangers traversés et les retours chargés de souvenirs.

Yol, par jeu, chercha l'endroit où sa pierre pourrait le mieux vivre dans le cairn. L'endroit où sa place était prévue depuis longtemps. Une petite cavité, au nord à côté d'un gros galet de rivière, sembla parfaite. Yol de deux doigts précis y déposa sa petite pierre.

A cet instant un cri retentit et le cairn explosa, délivrant l'être qui y était enfermé.

Yol recula de trois pas, surpris, et laissa échapper son sac. Le petit être était : un homme tout ridé, aux mains noueuses et au teint jaune. Son regard se posa sur l’intrus, tandis qu'il dit d'une voix criarde :

- Tu es venu ! Je savais que la prophétie s'accomplirait. Maintenant tu es à moi. Avance!

Yol hypnotisé par le regard de feu, s'engagea sur le fragile pont-levis du château. Le petit homme ajouta toujours en criant.

-Je savais que j'avais raison ! Venez, venez tous, il réussira ! A ces mots une multitude de petits êtres tout ridés et au teint jaune surgirent de nulle part, comme si la terre les avait tenu cachés jusque là.

Yol se tenait à présent devant les portes du château. A l'instant où il s’approcha, elles s'ouvrirent sans effort devant lui et ses gardiens.

Il sentit une main se glisser dans la sienne. C'était le petit homme tout ridé. Yol lui sourit d’un air crispé espérant ainsi l’amadouer. Ils se retrouvèrent dans la grande cour du château.

Aussitôt un de ces êtres étranges fendit la foule. Il portait, sur les bras, un manteau pourpre. Il en drapa le petit homme et s'inclina.

Un second sortit des rangs, une couronne d'or dans les mains. Il s’approcha et vint la poser, avec le plus grand respect, sur la tête du petit homme.

Un troisième sortit du château tenant dans ses mains un coussin de velours rouge sur lequel était posé un sceptre en ivoire sculpté. Le petit homme prit le sceptre, le leva, et, sans un mot d'explication, entraîna le voyageur à l'intérieur. Les portes se refermèrent.

Dans la grande salle du château le petit homme monta sur le trône. Yol entouré de gardes n'osait pas bouger. Il attendait prudemment.  Le roi, car c'était bien lui, se mit à parler.

- N'aies pas peur, tu es ici pour rendre le sourire à ma fille, la princesse. Si tu réussis tu seras récompensé.

Deux gardes s'approchèrent d'un mur et écartèrent deux grandes tentures cramoisies qui le décoraient. Ces tentures dissimulaient une porte en bois écarlate cloutée d’or. La porte s’ouvrit sur la plus merveilleuse des princesses.

Elle était toute petite et toute menue, comme son père. Sa peau était plus lisse qu'un pétale de fleur Mais sur son visage, au teint aussi nacré que l'ivoire, les joues étaient toutes empourprées. Elle traversa la salle d'une démarche gracieuse. En passant près de Yol, elle plongea son regard dans le sien, avant de monter les quelques marches qui lui permettaient de s'asseoir sur le trône, à côté de son père.

- Rends le sourire à ma fille ! Qu'elle puisse rire de toutes ses dents et je te couvrirai d'or. Dit le roi.

En effet le visage, de la jeune fille, pourtant si jolie, n'était éclairé d'aucun sourire. La tristesse l'habitait, elle gardait les lèvres serrées, comme pour retenir un étrange secret.

Yol s'inclina devant le roi, dit qu'il ferait de son mieux, et demanda à avoir un entretien privé avec la princesse.

- Soit ! Dit le roi ; tu as placé la pierre dans le cairn tu es l'élu, fais ce que tu dois !

L'après-midi même Yol se retrouva dans la chambre de la princesse, il y resta un long moment, puis alla voir le roi.

- Sire, je vous demanderais trois jours pour rendre le sourire à votre fille. Mais je veux que nul, en dehors de moi, et des artisans que je réclamerais, ne pénètre dans la chambre de la princesse durant ces trois jours.

- Es-tu sûr que tu lui rendras son sourire ?

- Oui sire ! Mais il vous faudra sacrifier les symboles de votre pouvoir au sourire de votre fille. Pour l'instant je vous demande simplement d’envoyer quelqu’un chercher mon sac qui est resté près du cairn. J'ai besoin de ce qu'il contient pour préparer un baume.

Le premier jour Yol s'enferma, dans la chambre, avec la princesse. On entendit des pleurs et des gémissements mais personne n'osa franchir le seuil de la porte. Ni les gardes en surveillance, ni le roi qui faisait les cent pas dans le couloir. La journée passa. Au soir le jeune homme sortit.

-comment va ma fille ? demanda le roi, impatient.

-Bien sire, le rassura Yol. Et il ajouta :

-Etes-vous prêt  à sacrifier votre sceptre d’ivoire ?

-oui, si il le faut, pour son bonheur.

-Bien ! En ce cas, faites mander le ciseleur et ses outils de taille.

- Je voudrais d'abord voir ma fille. Insista le roi.

- Pas encore sire, vous avez promis.

Le roi donna, son sceptre d’ivoire en bougonnant au jeune homme qui repartit s'enfermer dans la chambre de la princesse avec le ciseleur et ses outils de taille qui venait d’arriver.

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Le deuxième jour, comme la veille, les pleurs et les gémissements de la princesse s’entendirent. Le roi bouillonnait de colère, l’oreille collée à la porte. Sur le soir le jeune homme sortit et referma la porte derrière lui. Le ciseleur était parti depuis longtemps.

-Comment va ma fille ? demanda le roi, inquiet.

-Bien sire ! Le rassura Yol. Et il ajouta :

-En ce jour êtes-vous prêt à sacrifier votre couronne d’or ?

- Tu demandes beaucoup, jeune homme, mais  je n'ai qu'une parole. Voici ma couronne.

Yol, prit la couronne que le roi lui tendait et ajouta :

-Merci pour elle sire. Voulez-vous faire mander l’orfèvre et son matériel de chauffe. Le roi blêmit mais il fit appeler l’orfèvre.

- Je voudrais embrasser ma fille ; Insista le roi.

- Pas encore sire, soyez patient.

Quand l’orfèvre arriva, ils entrèrent, tous deux, dans la chambre et le roi perçut ces mots.

-Nous avons du travail pour toute la nuit !

Au matin du troisième jour, le roi lui-même, tambourina à la porte de la chambre et ordonna :

- Rends-moi ma fille, étranger !

Yol sortit de la chambre et referma la porte derrière lui puis il s'adressa respectueusement au roi :

- Sire je vous ai demandé trois jours et vous avez promis. La parole d'un roi n'aurait-elle point de valeur en ce pays

- Que veux-tu, encore, aujourd'hui ?

- Plus rien sire, j’ai plus qu’il ne m’en faut.

Au matin du quatrième jour, Yol épuisé dormait sur les dalles de pierre au pied du lit de la princesse. Elle rêvait et souriait dans son sommeil. Le jeune homme s'éveilla, la regarda, et sut qu'il a gagné. Il sortit sans bruit de la chambre.

Le roi et ses gardes l'attendaient devant la porte. Aussitôt, sur l’ordre du roi, les gardes se saisirent de lui. Yol se débattait. La bousculade éveilla la princesse qui sortit de sa chambre. Elle paraissait fatiguée mais le sourire qu’elle avait perdu, était enfin sur ses lèvres. Les gardes s'arrêtèrent interloqués et Yol en profita pour se dégager.  Le roi regarda sa fille. Il plissait les yeux.

- Votre fille est guérie, dit Yol ; regardez ! La princesse, en effet, arborait un large sourire où l’on voyait de belles dents blanches aux reflets d'ivoire, soutenues par des fils d'or. Le roi remercia le jeune savant et lui dit :

- Tu es un grand magicien !

Yol écarta le compliment d’un geste.

- Non sire, c'est vous qui avez rendu le sourire à votre fille. L'ivoire, de votre sceptre, a été taillé, pour sculpter les dents manquantes, votre couronne, nous l’avons fondu et transformée en fils d'or. C’est ce que vous avez sacrifié qui a rendu à votre fille son sourire. Personne, désormais ne pourra le lui voler. Puis il ajouta :

-Ne laissez pas vos défenses naturelles s'émousser, renforcez vos murs, défendez vos idées et le sourire sera toujours sur vos lèvres et sur celles de vos sujets.

- Prends ce que tu veux dans mon palais étranger, dit le roi, ma fortune est à toi !

- Sire vous m'avez donné tout ce dont j'avais besoin. Vous m’avez donné un but. Je pars plus riche que je ne suis venu. Ma vie a désormais un sens.

Yol s'inclina respectueusement devant le petit roi et la princesse et quitta le petit peuple ridé.

Du haut de la colline, il regarda une dernière fois le vallon et vit le roi, donner des ordres pour réparer le château. Les petits hommes jaunes s'affairent sur les créneaux et au pied des murs pour offrir une nouvelle jeunesse au paysage qui grouillait de vie. Sur la plus haute tour, la petite princesse, dans sa robe carmin, saluait de la main l’étranger qui lui avait rendu le sourire.

Yol, lui rendit son salut. La petite cascade alimentait le torrent qui nourrissait la terre. Rien ne paraissait avoir changé. Il tourna le dos et prit le chemin. En passant près du cairn détruit, il avait ramassé une petite pierre blanche. Elle était polie par le vent, lustrée par le soleil et parfumée par les herbes de la garrigue.

Elle était dans le creux de sa main brûlante comme le baiser d'une femme.

FIN

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