Du sang sur le stupa

 

Louis marignac

 

Du sang sur le stupa

  

Conte de tradition populaire

Illustration Louis Marignac

Quelqu’un me dira peut être où je l’ai lu ou entendu.

 

Je vous transmets ce conte comme je l’ai raconté maintes et maintes fois.

Il était une fois une vieille dame qui, chaque jour, à l’heure ou le soleil n’est pas encore levé, sortait de sa maison, assurait son bâton dans sa main noueuse, prenait le chemin de la montagne, grimpait jusqu’à son sommet et faisait le tour du stupa - petite construction de pierres dédiée aux Dieux-. Puis elle redescendait de la montagne et commençait sa journée.

Un jour les jeunes gens du village, intrigués par son manège, lui demandèrent :

-Oh, la vieille ! Pourquoi tu vas à la montagne chaque jour avant de commencer ta journée ?

-Je fais comme ma mère l’a fait avant moi, et comme sa mère l’a fait avant elle. Je fais le tour du stupa.

-Mais pourquoi ?

-Parce que le jour où il y aura du sang sur le stupa, la montagne s’effondrera, engloutira notre village et tuera tous ses habitants. Alors je monte chaque jour, tant que les dieux me le permettent, pour prévenir ma famille et vous tous, si je trouve du sang ; comme ma mère l’aurait fait avant moi, et comme sa mère l’aurait fait avant elle.

Toute la journée l’information trotta dans la tête, des jeunes gens du village. Le soir, ils se réunirent et la plaisanterie pris forme. L’un alla récupérer un bocal l’autre, fils du boucher, le remplit de sang de cochon. A la nuit ils prirent le chemin de la montagne. Ils dormirent tous au pied du stupa sous la protection des Dieux. Au matin ils entendirent les graviers rouler sous les pieds fragiles de la vieille. D’un bond le récipient fut ouvert et le sang répandu. Puis chacun retrouva sa cachette.

La vieille dame cheminait calmement ; reprenant son souffle, elle eut un regard sur le ciel et le jour naissant et, elle s’approcha du stupa et en fit le tour. Soudain un cri sortit de sa gorge sèche, comme le croassement du grand corbeau freux quand il crie Alerte ! L’intrus est là. Le bâton vola sur le sentier où ses pas mal assurés, ses jambes tremblotantes retrouvaient leur vigueur. Elle dévala la pente, tomba, se releva et reprit sa course. Le chemin était long mais elle le fit d’un jet. Arrivée au village son cri se répandit dans les rues, dans les maisons, dans les têtes. Chacun tiré de son occupation ou de son lit sortait sur le pas de sa porte inquiet. Ils savaient. Ils la virent s’engouffrer dans une grange et se jeter dans les bras de son fils exténuée en disant :

-Mon fils le jour est venu, il nous faut partir !

Les jeune gens avaient eu beaucoup de mal à se regrouper et à suivre la vieille dans la descente. Ils riaient et se bousculaient heureux de la réussite complète de leur blague. Ils arrivèrent au village alors que tous étaient en train de prendre des mesures d’évacuation. Leur récit se fit dans le brouhaha, chacun voulait y aller de sa version. Qui avait versé le sang, qui était au plus près du stupa, qui avait vu les yeux égarés de la vieille, qui avait entendu son cri.

L’angoisse qui avait étreint les villageois quelques minutes plus tôt fit place aux sourires puis aux rires et la jeunesse s’enfuit, avant les sermons, comme moineaux chassés par un chat.

Dans la maison le fils avait réuni le maigre troupeau,  attachait les licols entre eux et sortit pour les lier à la charrette. Il vit l’attroupement qui se disloquait et vint aux nouvelles.

La vieille dame avait transmis l’information et son angoisse à sa bru qui réunissait vaisselle, provision et linge. Les enfants regardaient apeurés, sans comprendre l’agitation des adultes.

Le fils revint ; il retint le bras de sa femme et regarda sa mère. Les cheveux défaits elle habillait les enfants, son genou saignait et des écorchures zébraient ses vieilles jambes mais les mains s’affairaient à ajuster les bonnets et à boutonner les manteaux.

La femme informée des évènements lui dit :

-Va mon époux, elle à peur, allons manger près de l’étang et nous rentrerons au  coucher des poules.

Docilement le fils attela l’âne et installa ses enfants sur la plateforme de bois.

Mais la vieille dame s’impatientait :

-Prenez les sacs de grains et les farines, et la volaille sur la charrette, nous suivrons à pied, il est temps ! Il est temps ! Elle arrachait fébrilement les ballots des mains de son fils et de sa bru et, sous leurs yeux stupéfaits, chargeait la charrette. Elle attrapa la bride et tira l’âne de toutes ses forces vers la rue de terre battue et l’animal se mit à braire.

Le fils allait la stopper quand sa femme ajouta :

-Ta mère à toujours été bonne, ne méprisons pas ses sentiments, qu’est ce qu’un jour si cela lui plait. Allons ! Tu n’as pas tant à faire !

L’âne tira, la charrette grinça, la troupe se mit en branle et les rires s’effacèrent au virage de la rue, sur les pierres des maisons.

Ils atteignirent bientôt le vallon puis le petit mamelon qui dominait le village. L’étang était en bas mais la vieille dame tira l’âne vers le chemin montant. Le fils qui marchait derrière se précipita vers l’avant et dit :

-Mère c’est trop lourd, l’âne ne tiendra pas.

-il tiendra fils, il le faut, la distance ne suffit pas. Et elle regarda vers la montagne comme pour la supplier de patienter.

-Encore un effort !

Ils montèrent, en poussant la charrette, en soufflant dans l’air leur respiration chaude, tout là haut, jusqu’au grand chêne, qui marquait le col vers l’autre vallée.

Alors l’âne s’arrêta les oreilles tendues, les poules se turent, il y eut un tremblement et la montagne toussa.

Le fils resta suspendu les bras haut levés son enfant dans les mains. Sa femme tomba au sol le petit dernier serré dans son giron et la vieille dame pris contre elle le plus grand. Debout face à la vallée ils virent, dans un grondement indescriptible et sous un nuage épais, la montagne glisser, glisser et engloutir, le village, dans sa gangue de boue et de pierre. 

Nul n’avait dit d’où viendrait le sang !

                                    FIN

 

Françoise Contat 2020

 

 

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