Le crâne de Massa

 

Francoise morel 1Le crâne de Massa

Conte du Kenya

Version de Françoise Contat

Illustration de Françoise Morel

 

Massa est un guerrier de la tribu de la grande eau.

Chaque matin à l’aube, pour entrainer son corps déjà robuste,  il va courir le long de la plage qui jouxte son village.

Ce matin-là, à longues enjambées puissantes, il laboure le sable, puis, accélère dans un sprint quand, soudain, il s’étale de tout son long dans un tourbillon de poussière.

Etourdi par sa chute, crachant du sable et de la salive, il se relève, secoue ses ornements de cheveux, et va voir ce qui l’a fait tomber.

Une bosse soulève le sable. Il s’agenouille et dégage bientôt un crane roulé par la mer et blanchi de sel.

Il le prend dans sa main, la tend vers le ciel et, tel le Hamlet de Shakespeare, se met à déclamer ces mots !

-Crâne, pauvre crâne, qu’est ce qui t’as amené là ?

Alors les yeux du crâne se colorent de rouge, les dents s’entrouvrent la mâchoire bouge et Massa entend le crâne répondre par ces mots :

-La Parole !

Massa pousse un hurlement :

-Haaah ! Et il  jette le crane loin de lui.

Puis, pour vérifier qu’il n’a pas été abusé par quelque envoutement, il rampe jusqu’à crâne et, sans le  toucher, l’interroge une seconde fois :

-Crâne, pauvre crâne, qu’est ce qui t’as amené là ?

Les yeux  s’éclairent la mâchoire s’entrouvre et Massa entend distinctement la réponse :

-La Parole !

Francoise morel 2Massa se remet à courir. Mais cette fois-ci, ce n’est plus pour s’entrainer qu’il court ; non,  il court vers son village et vers son chef en criant :

-Chef, Chef !

Arrivé devant la case du chef, il y a deux gardes qui, voyant arriver Massa essoufflé et affolé, croisent leurs sagaies pour l’empêcher d’entrer.

-Qu’est ce qui t’arrives Massa ? Tu as vu le Dieu rouge ! Dit le premier garde.

-Non, mais j’ai vu quelque chose d’extraordinaire et je veux en parler au chef.

-Le chef dort encore tu ne peux pas le déranger.

-C’est très important.

-Tu sais, que si tu réveilles le chef, tu le mets en colère ; et quand le chef est en colère, tu sais ce qu’il fait ……..

-il coupe la tête ! Termine le second garde.
Massa se tiens le cou et recule de trois pas.

Les gardes desserrent la croix des sagaies.

-Il faut vraiment que je lui parle, laissez-moi passez.

-Comme tu voudras.

Les gardes s’écartent et Massa soulève la peau de zèbre qui ferme la case.

Le chef est en train de s’étirer. Il se réveille doucement. C’est un homme gros et gras, ventripotent. Il est vêtu d’une peau de lion et il est en train de mettre sur sa tête une coiffe de perles colorées ornée de duvet d’autruche. Il regarde Massa  qui s’est agenouillé devant lui, la tête dans la poussière et qui crie :

-Chef, Chef, j’ai vu !

-Pourquoi tu me déranges si tôt ?

-Chef, chef, j’ai vu !

-Qu’est-ce que tu as vu ?

-J’ai vu un crâne qui parle !

-Massa tu as encore abusé de cette boisson qui met le vent dans la tête. Laisse-moi me recoucher.

-Non chef, il faut venir.

Et Massa, tout à son excitation, se relève et attrape le chef par le bras.

Le chef se dégage et hurle en dégainant son coutelas. Il le lève menaçant:

-Massa tu perds la tête ; ou tu veux que je m’en charge ?

Aux cris du chef, les gardes sont entré et pointent déjà leurs sagaies sur le pauvre Massa qui continue à parler en s’inclinant à nouveau.

-Chef, je vous assure, c’est vrai, sur la plage, j’ai vu un crâne qui parle.

-Tu sais que si tu me déranges pour rien, ca m’énerve et tu sais ce que je fais quand je m’énerve ?

-oui chef, vous coupez les têtes.

-Bon, tu es prévenu, allons voir !

Pendant ce temps-là tout le village s’est attroupé. Les gardes et tous les hommes du village puis derrière toutes les femmes du village et enfin, tout autour, tous les enfants du village.

Le chef sort de sa case et s’adresse à Massa :

-Montre-moi !

Devant il y a le chef qui marche vers la plage, puis Massa, à côté de lui, puis les deux gardes qui ont tout entendu avec tous les hommes du village. Enfin toutes les femmes du village et, tout autour, tous les enfants du village.

Arrivé à la plage le chef demande :

-Alors il est où, ce crâne qui parle !

Massa cherche des yeux. Le crâne git à quelques pas. Massa se met à genoux dans le sable et murmure en s’adressant au crâne :

-Crâne, pauvre crâne, qu’est ce qui t’as amené là ?

Et le crane ne dit ……… rien !

Le chef s’énerve et met la main sur son coutelas le regard menaçant il insiste:

-Massa, fais le parler !

Alors Massa prend le crâne dans ses deux mains et dit en regardant alternativement le coutelas du chef et le crâne.

-Crâne, pauvre crâne, qu’est ce qui t’as amené là ?

Et le crane ne dit ……… rien !

Alors le chef tire son coutelas de sa gaine et fait sauter la tête de Massa qui roule dans le sable et vient finir juste en face du crâne.

Le chef essuie le sang sur la peau de son manteau de lion, range son coutelas dans son étui, assure sa coiffe en regardant son peuple et fais demi-tour. Il s’éloigne drainant tous les hommes du village, toutes les femmes du village et tous les enfants du village qui sautillent autour de leurs parents.

La journée passe, le soir descend et au moment où le soleil va disparaitre à l’horizon, le dernier rayon du couchant frappe le crâne. Les yeux virent au rouges sang, les dents s’entrouvrent et le crane interroge en s’adressant à la tête coupée de Massa :

-Tête pauvre tête qu’est ce qui t’a amené là ?

Et des lèvres bleuies de Massa s’échappent ces deux mots :

-La Parole.

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