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L’Oreiller

L’Oreiller

par Françoise Contat

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Carmen et Carlos c’étaient aimés au premier regard. Lui, grand et fort, avait adoré immédiatement cette jeune femme petite, frêle et menue à la longue chevelure brune et aux courbes parfaites. Elle, par besoin de protection sans doute s’était réfugiée aussitôt entre les bras puissants comme si rien ne pouvait dorénavant l’atteindre. Ils s’étaient mariés très vite et, au retour d’un voyage de noce idyllique en croisière sur l’Océan, s’apprêtaient à se rendre à la maison dont Carlos avait hérité de son oncle. Elle était à la périphérie de la ville de Santiago, du côté de la grande forêt au pied de la cordillère.

 

Au sortir de la voiture, il la souleva dans ses bras, elle le regarda confiante et glissa les siens autour de son cou. En riant et en battant des jambes, elle poussa le grand portail de fer forgé puis tourna la tête. Aussitôt elle sauta sur ses pieds. Le jardin en friche était un inextricable enchevêtrement de ronces et de plantes sauvages. Un palmier solitaire, sur la gauche, semblait crier de détresse, comme étouffé par cette végétation. Sur la droite la pièce d’eau n’avait plus rien de limpide, les poissons rouges n’avaient pas survécus. Quant à l’allée centrale elle était envahie d’un couvre sol aux feuilles hérissées de pointes acérées qui lui arrachèrent quelques cris tandis qu’elle avançait à la suite de son jeune époux.

 

La maison très grande était de style colonial et venait d’être repeinte. Un perron permettait d’accéder à une large terrasse de bois aux colonnades blanche qui soutenaient le premier étage. Carlos lui présenta les domestiques. Conception, la cuisinière, ronde et joufflue, était présage de bonne cuisine ; Maria, la femme de chambre jeune et avenante deviendrait probablement une précieuse confidente. Elle entra dans la maison.

 

Carlos avait fait rénover et meubler au rez-de-chaussée son bureau, la salle à manger et le salon puis, à l’étage, la chambre nuptiale. Pour le reste il lui expliqua qu’elle n’aurait qu’à décider selon son goût. Elle ferait venir peintre et décorateurs et choisirait les meubles dans les plus beaux magasins de la ville.

 

Le lendemain, son époux parti à son travail, elle se leva tard et déambula dans sa nouvelle demeure. Décidément elle n’aimait pas cette maison. Les murs sentaient l’humide les couloirs étaient sombres et froids. Elle revint à sa chambre. Maria tirait les tentures et ouvrait les grands volets qui donnaient sur l’arrière de la maison, la suite du jardin et la montagne. La lumière baigna la pièce et la chaleur du soleil lui fit tout oublier. Elle passa sa journée la tête dans les revues de décoration à aller et venir de la chambre d’amis au petit salon, de la salle de bain à plaquer de marbre à la serre à rénover et à repeindre. Le retour de son mari la surprit assoupie sur la chaise à bascule de la terrasse.

 

Le lendemain son époux lui expliqua qu’il avait à faire et serait parti au moins trois jours. Elle lui répondit de ne pas s’inquiéter puisqu’elle aurait, elle aussi dans le même temps, beaucoup  de travail.

 

Quand il revint le soir du troisième jour elle n’était pas à l’attendre. Il se précipita à l’intérieur pour trouver la cuisinière qui se tordait les mains. Madame n’était pas bien. Il monta les escaliers quatre à quatre et ouvrit la porte de la chambre à la volée. Ce qu’il vit le pétrifia. Sa femme disparaissait sous l’édredon dans les draps blancs. Elle était d’une pâleur extrême. Près du lit la femme de chambre pleurait doucement. Il sermonna vertement les trois femmes et téléphona au docteur.

 

Celui-ci diagnostiqua une grande fatigue conséquente au changement de vie de sa patiente. Il conseilla le repos et une bonne alimentation. Le lendemain ils allèrent voir l’océan. Carmencita, comme il l’avait surnommé, s’égailla. L’air marin lui donna des couleurs et ses cheveux claquaient au vent et se parfumaient d’embruns. Au repas elle rit et mangea tout ce que Carlos lui présenta. Ils rentrèrent fourbus et heureux le cœur pleins de projets.

 

Pourtant deux jours plus tard Carmen s’évanouit en plein après-midi. Ses jambes s’étaient dérobées sous elle et sans le secours de Maria elle aurait chuté dans l’escalier. Carlos s’en inquiéta mais Conception lui avait aussitôt préparé une bonne collation et il semblait que tout fut rentré dans l’ordre.

 

Cependant Conception conseilla à Carlos de dormir dans son bureau pour laisser sa femme se reposer à son aise et surtout pour ne pas la réveiller le matin. Il accepta et alla à son travail sans l’avoir embrassé. Cependant le soir elle était encore plus lasse. Il sentit un mélange de colère et de désespoir monter en lui. Toute sa force ne pouvait enrayer ce qui se passait sous son toit. Il attrapa sa jeune femme avec rage et descendit dans le salon. Là, il la garda toute la nuit contre lui la berçant comme un enfant malade. Au matin elle ouvrit les yeux, elle avait faim.

 

Les jours se succédèrent aux jours : parfois avec un mieux et il semblait que la vie revenait, parfois avec des crises d’angoisse et la peur prenait le dessus. Elle ne supporta plus la lumière du soleil et les rideaux furent tirés. Elle mangea de moins en moins et Maria ne la quitta plus. Un soir elle se mit à hurler en voyant pénétrer son mari dans la chambre. A partir de ce jour-là elle ne le reconnut plus.

 

Dévasté de chagrin il rappela le docteur. Après l’avoir examiné celui-ci lui expliqua que la vie fuyait la jeune femme, elle dépérissait, et sa science n’y pouvait rien. Une semaine plus tard Carlos porta en terre son amour qui n’avait plus quitté le lit.

 

Au retour du cimetière Carlos monta dans la chambre. Maria venait de tirer les rideaux. Elle ouvrit la fenêtre. Une douce chaleur baigna la pièce. Il s’attarda devant la commode. Elle sortit l’édredon, le tapa et le déposa sur la rambarde de la porte fenêtre. Il fit glisser sa main sur les peignes d’écaille, prit la brosse encore couverte de cheveux bruns - Elle en perdait tant vers la fin-. Soudain la femme de chambre poussa un cri. Elle venait de lâcher l’oreiller. Sortit de sa torpeur Carlos lui demanda la raison de ce cri dans une maison en deuil. Bras tendu, prise de panique, elle lui montrait le lit en balbutiant que l’oreiller était trop lourd !

 

Carlos, pris d’un doute, attrapa le coupe papier de bronze et, s’approchant, entailla le coton fin. Une nuée de plumes blanches s’élevèrent puis retombèrent autour de l’oreiller. Là, tapi dans le duvet, un corps palpitait. Noire, velue, crochets ouverts, une araignée de la taille d’une assiette attendait sa pitance. Jour après jour elle avait liquéfié puis aspiré le cerveau de la jeune femme et en redemandait. Carlos leva les bras et, dans un cri qui fit trembler les murs de la vieille demeure, enfonça de toute la puissance de son corps le stylet de bronze dans le corps démesuré de l’animal assassin.

 

FIN

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