LE TEMPS
2022 Le temps- nouvelle
Un présent conséquent
La clepsydre coule ; sa cascade résonne dans le tartare silencieux puis, touchant une roche brûlante, elle se vaporise dans l’air soufré. Chronos se réveille de sa torpeur séculaire. Il s’étire, ses membres douloureux lui arrachent un grognement. Est-ce un manque de bruit, ce silence ? Ou est-ce qu’au loin on s’agite ?
Son regard s’attache, vague, sur la courbe délicate d’une roche au galbe féminin. Rhéa ou est tu ? Pour se relever il pose sa main osseuse sur le sol, ses doigts se referment sur un objet familier. Fidèle, le bois de sa faux, l’aide à se dresser. Le fils de la terre et du ciel fait rouler ses épaules et, d’un écartement des bras, déplie ses ailes immenses. Le vieillard robuste au crane dénudé et à la longue barbe blanche, marche. Son pas ébranle les fondements de la grotte et porte avec lui un roulement d’orage sec. Le mangeur d’enfant à faim !
Au dehors le vent en bourrasque porte une eau compacte qui se refuse à pénétrer la terre. Elle s’écoule en ruisseaux vigoureux et denses qui serpentent telle une écriture folle ne pouvant graver son sillon fertile. Chronos fait claquer ses ailes et décolle vers le mont Pélion, dans le ciel noir. Bouche ouverte, il boit le ciel humide, mais la faim d’enfant le tenaille.
A l’aube, l’orage s’est apaisé. Bientôt il se pose devant une grotte. Un centaure vient à sa rencontre.
- Chiron, mon fils, un bruit étrange m’a réveillé est ce que te élèves perturbent la classe ? En aurais tu un ou deux à m’offrir ?
- Père ils sont immangeables. Avec leur portable ils ont la réponse à leur question sans avoir appris. Ils perdent la vue d’ensemble. Ils soignent la maladie et oublient le malade. Quant aux malades ils voudraient guérir avant de se soigner. Ils ont perdu patience.
- Donnons-leur ce qu’ils veulent que ton baume guérisse tout. Je leur ferais oublier le délai de guérison. Pour les fractures ils croiront l’os ressoudé dans l’instant , même si, ils ont été alités plusieurs mois.
L’ombre du dieu passe sur le mont et tout est accompli.
Chronos repart en rasant la terre ; sa faux traine derrière lui un sillon de pierres et de poussière qui mêle le réel au rêve et lie la terre au ciel. Jusqu’à l’océan il a creusé une faille ou se jette l’eau des montagnes. Elle dévale la pente à la vitesse d’un loup en chasse pour s’enivrer de sel.
Au cœur de l’écume Aphrodite apparait. Les reins ceinturés d’or. L’ile de Lesbos se découpe au loin dans le jour naissant. L’iode empli l’air qui transpire d’essences parfumées. La Dieu tend le bras et cueille une poignée de figues qu’il engloutit avec délice.
- Née du sang de Coelus saurais tu me dire ce qu’il en est de l’amour ?
- Mon fils Eros n’en parle plus ou n’en parle que trop. Depuis la télévision ensachée d’ordure et les réseaux sociaux au purin infertile, il souffre ; et ses flèches se perdent dans les volcans éteints. Je ne sais comment l’apaiser car mon cerveau bouillonne de pairs incestueux et d’enfants feminicides. J’implore le vol silencieux d’Edvige, la chouette blanche d’Athéna, mais ils l’ont cloué sur la porte des granges et son sang vermeil se mêle à la neige.
- Douce Aphrodite dis à ton fils qu’à partir de ce jour le temps ne pansera plus les plaies de leurs âmes. Je n’assurerai plus la fonction d’oubli. Ils garderont leurs plaies d’amour et se rappelleront à jamais de l’être perdu.
Soudain l’océan se retire, Gaia a libéré les eaux emprisonnées de froid et les a englouties. En riant elle vomit le liquide couleur de ciel. Debout sur la vague, couronné de plantes marines, Poséidon, d’un pas, vient planter son trident sur la terre. Il aperçoit Chronos. Le soleil est au zénith.
- Père que fais-tu dans ces contrées ?
- Je cherche un ami, un enfant, un confident pour écouter. Il est pathétique celui qui erre à la recherche d’une oreille attentive et je suis cet être là.
- Puis je te proposer cette conque marine ? Il joint alors le geste à la parole et offre à son père le coquillage nacré de blanc aux volutes labyrinthiques. Elle a tant entendu de secrets que ses oreilles se sont allongés.
Chronos a soufflé dans la conque pour dire sa peine. Le souffle est devenu maux il a empli l’espace : a forcé la terre à plier, à rouler, à se craqueler, à se fendre. Un gouffre profond s’est ouvert. On a vue poindre trois têtes armées de crocs Cerbère est là. Près de lui, Charon le maitre du Styx, se tient quoi. Curieusement le fleuve s’écoule d’entre les phalanges blanchies de sa paume fermée.
- Quel est donc ce prodige ? Demande Chronos. Pourquoi tiens-tu les eaux captives ?
- Ils ne veulent plus de rides, ils ne veulent plus plier sous le poids des années.
- Donnons-leur ce qu’ils veulent
- Mais la mort est la loi.
- De ce jour tu leur compteras un temps et la moitié d’un temps. Egalement à tous hommes, femmes ou enfants. Du jour de leur naissance au jour de leur trépas. Sans une ride, sans aucune douleur imputable à l’âge. Ainsi le jour compté tu iras les chercher.
Les larmes du passeur se mêlent aux eaux du Styx que les langues des trois têtes du chien des enfers lapent en silence. Le maitre a décidé l’esclave obéira.
L’ombre descend Une nuée se forme, s’élève de cette eau. La vapeur mouillée de glace agglutine ses cristaux, un chant crisse, délicat. Proserpine apparait.
Chronos la regarde et lui dit :
- Fille de Cérès enivre moi de la fleur d’oubli. Dit à Bacchus de nous rejoindre. Pille les temples, vole les ciboires sacrés, met bas les idoles, piétine le linceul au visage empreint. L’heure sera fugitive, l’aurore dissipera la nuit. Aimons donc !
- Je ne puis jeter l’ancre et suspendre le voyage. Ma mère a tant de bras. Son ventre a tant d’enfants. La graine plantée donnera son fruit.
- Je t’accorde la graine et le fruit, mais l’ordre en sera modifié. Ils n’attendront plus l’éclosion de la fleur ou la couleur du fruit mur. Tout sera sans logique. Puisqu’ils veulent tout, tout de suite qu’il soit fait selon leurs envies, mieux, selon leur humeur : Soleil ou neige, pluie ou vent, ouragan fertile ou volcan stérile.
Chronos étend son bras et le temps se décompose.
Zeus sort de l’ombre ou, patient, il attendait. En quelques pas il est près de son père.
- Saurais-tu me dire où vont les jours que tu engloutis ?
- Ignores-tu que : Je suis le repos, je suis les orages, je suis les coteaux, je suis les ombrages, je suis le roseau, je suis le zéphyr. Nul ne peut me contraindre, nul ne peut me dompter. Je suis la double causalité.
En deux claquements d’ailes il s’est envolé. En deux claquements de doigts la vie s’est écoulée de l’un à l’autre. Qui saurait poursuivre le temps ?
Le soir descend irradiant le ciel d’un rouge orangé. La pluie chemine vers d’autre lieu. Plus un souffle d’air.
Chronos entre dans la grotte. Telle une chrysalide, il replie ses larges ailes sur son corps fatigué. Son regard se ferme, embrumé, sur la courbe délicate d’une roche au galbe féminin. Rhéa ou est tu ?
Les gens d’en haut se taisent enfin !
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1 Son fils Chiron le centaure l’enseignant médecine à esculape, astronomie a Hercule précepteur d’Achille le grec qui se distingue lors du siège de Troie en tuant Hector
2 Vénus la beauté du sang de Coelus que chronos (fils) a tué d’un coup de faux fils cupidon époux vulcain Héphaïstos
3 Poséidon son fils le sceptre trident (l’océan respect de la vie)
4 Peur de la mort Hadès son fils et cerbère et Charon le Styx parjure respect de la parole donnée et l’obole
5 Cérès (fille) agriculture sa fille Proserpine se marie avec Hadès (pavot) voyage avec Bacchus (la drogue)
6 Son fils(Zeus) tonnerre foudre et éclairs ne règne plus sur la planète bleue Obéissance
Lustre 5 ans
- Chiron qu’en est-il du ciel ? J’y ai vu de nouvelles lumières.
- Des objets sans âme s’y promènent sans but.
- Chiron, qu’en est-il des héros ?
- Que t’en dire mon père.
Les gens d’en haut font trop de bruit !
qu’elle seule survive !
Déméter était derrière Bacchus.
- Merci de ta clémence, Chronos !
La guerre a méprisé la paix qui se moque de la vie. La mère a calomnié l’enfant qu’elle ne connaissait pas. Le conflit s’est éteint sans volonté.
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