Créer un site internet

La Baleine et le Pêcheur

La Baleine et le Pêcheur

Baleine 0 couverture

Il était une fois un vieil homme qui était pêcheur de lac. Il vivait à l’embouchure du petit torrent qui nourrissait le lac de ses eaux froides tout droit descendues d’un grand glacier de la montagne. Il pêchait depuis de longues années quand l’envie lui vint de voir la mer. Sa femme qui était allée à l’école, lui dit que toutes les rivières se jettent dans un fleuve et que tous les fleuves vont à la mer.

Un jour il fit le tour du lac et regarda longuement l’eau qui en mouillait ses rives. Un seul cours d’eau, tiédi de soleil, s’échappait du lac et créait un petit torrent aux eaux claires. Il prit sa décision.

Le matin suivant sa femme lui prépara du pain bis, du fromage de l’alpage et des biscuits salés. Il l’embrassa longuement. Une brise légère irisait les eaux calmes. Il laissa aller sa barque dans le léger courant jusqu’à l’eau filante.

Il entra ainsi dans une gorge étroite aux larges falaises de calcaire. Les remous étaient puissants et faisaient tanguer la barque de bâbord en  tribord mais le vieil homme n’avait pas peur, même dans un lieu inconnu, l’eau était son amie. Il leva les yeux. Des maisons semblaient grimper la falaise tant elles étaient accrochées entre le ciel et l’eau. Curieuses maisons et curieux habitants se dit-il. Il filait, filait à la force du courant.

Bientôt le ciel s’assombrit. Il arriva à proximité dune ville noire d’encre et de charbon. Les tisserands étaient à l’ouvrage. Les métiers sifflaient, les lices tapaient. Les roues des papetiers ronflaient, l’eau se teinta de blanc, bouillonna. La ville vibrait de toute part, crachant de chaque fourneau une épaisse fumée.

Ses yeux se brouillèrent de larmes et il eut du mal à respirer, mais, heureusement, le courant l’entraina vers un ciel plus clair.

Le courant de plus en plus rapide l’emporta face à une barre rocheuse. Il venait de l’est et soudain, du nord, une rivière arrivait, rapide. Il fut malmené par les remous du confluent des deux rivières et tomba au fond de sa barque. Soudain, elle vira d’un coup sec et prit le courant à la vitesse d’un loup en chasse.

La rivière avait doublé en largeur et en profondeur. Il était escorté par des poissons puissants aux bouches ornées de moustaches. Il voulut laisser couler sa main pour sentir l’eau vibrante et froide mais se ravisa. Qui pouvait dire ce qui peuplait ces eaux ?

Son regard fut attiré par des coteaux couverts de vignobles qui grimpaient de part et d’autre des larges pentes. Les ceps de vigne alignés faisaient penser à des soldats prêts pour la bataille. Que de grands crus devaient dormir à l’abri des grands fûts de chêne !

Le débit du fleuve car, à n’en pas douter, c’en était un, devint plus régulier. L’eau paraissait compacte et n’être qu’une seule masse qui partait vers l’aval.

Il somnola, tout en se laissant bercer par les remous. Le climat s’adoucit. Les coteaux s’évasaient en une large plaine. Il grignota quelques biscuits tout en admirant ce qui s’offrait à son regard. Des vergers aux mille couleurs, des fruitiers par centaines, tremblaient dans le vent chaud. Un parfum délicat chatouilla ses narines et emplit ses poumons.

Il avait l’impression de goûter à chaque fleur et à chaque fruit futur. Des abeilles essaimaient et leur bourdonnement emplissait l’air tiède.

D’autres cours d’eaux vinrent rejoindre le fleuve royal et une ville apparut au détour d’un méandre. Les tours, d’un palais somptueux moucheté de centaines de fenêtres, étaient piquées d’oriflammes claquant dans le vent qui avait forci. La ville du vent violent lui présentait ses ruelles grouillantes de maisons.

Un pBaleine 7ont enjambait le fleuve au trois quarts. Des maîtres pontifes s’affairaient à l’ordonnance des pierres. Le vieil homme leva les yeux en passant sous la voûte où résonnait le chant des tâcherons et le grondement de l’orage naissant.

La pluie cessa, le soleil revint. La barque allait, au fil de l’eau, vers des rives fertiles jouxtées de potagers irrigués d’une eau limpide, prélevée sur le fleuve nourricier. Des rangées de fèves et de choux d’hiver côtoyaient les pousses naissantes de haricots, de courgettes, de poivrons et de melons. Quelques hauteurs se dressaient dans le lointain mais la plaine était immense.

Le pêcheur de lac passa la ville romaine, au soir naissant. Laissant derrière lui, les cris des enfants et la parole des vieux, Il entra dans le silence du delta.

Le fleuve se séparait encore et encore. Il eut du mal à choisir un bras d’eau. Les rives étaient couvertes tantôt de champs de riz encore vert, tantôt de tamaris roses ou de cytises jaunes d’or. Il devina l’étang du Vaccarès à l’eau d’huile, cerné par les flamants rose et les goélands argentés en nuée.

La tache sombre d’un taureau noir se détachait parfois sous la lune humide. Une horde de chevaux libres passa en piétinant les salicornes et le sable mouillé. Le fleuve devint terre et eau. La barque tangua, toucha parfois les rives, puis, revint vers le courant et sa liberté.

Soudain, elle était là : immense, à perte de vue, noire et sombre. Le cœur du vieil homme bondit dans sa poitrine. Il se leva et embrassa la mer d’un regard mouillé de larmes. Ce qu’il vit ensuite, fut une île bleue. Curieux, il s’approcha et en fit le tour. Au ras de l’écume un œil le regardait.

-Qui es-tu ? demanda le vieil homme.

-Je suis une baleine, répondit la baleine. Et ils se mirent à converser.

Le vieil homme parla de la terre, des montagnes enneigées et de son périple pour arriver jusqu’à la grande eau. La baleine parla de la mer. De ceux qui vivaient cachés dans les courants, de tous les bateaux qui flottaient dessus et des villes qui la bordaient. Ils parlèrent toute la nuit et les nuits suivantes.

Baleine 11Pour notre vieux pêcheur, il était temps de rentrer dans l’alpage et pour la baleine l’heure de commencer son périple à la rencontre de sa famille. Mais les deux amis se promirent de se revoir chaque année à la même période et au même endroit.

Ainsi fut-il fait. Ils se séparèrent. La baleine partit vers le large et le vieux pêcheur mit sa « Meillerie » sur une longue charrette de bois qui montait vers le nord. Il s’allongea et dormit durant tout le voyage.

Chaque année les deux amis étaient fidèles à leur rendez-vous. Les saisons passèrent par groupe de quatre. Ainsi filent les années. Un jour la baleine attendit seule la venue de son ami. Il ne vint pas. Inquiète, elle décida d’emprunter le chemin tant de fois décrit.

Elle trouva l’embouchure du delta et vit les taureaux, les chevaux et les champs de riz. Plus loin la ville romaine et les potagers. Elle arriva à la ville aux oriflammes mais le pont était achevé. Bien trop grosse elle ne put passer sous les arches.

La tristesse l’envahit et elle se mit à pleurer. Elle pleura tant et tant qu’elle se mit à maigrir. De jour en jour sa taille diminua. Un matin elle se glissa sous l’arche centrale sans que personne ne l’entende. Galvanisée par sa réussite, elle ondula dans le courant poussant l’eau de sa queue puissante.

Le parfum des fleurs entrait par son évent. Elle se dressa sur sa nageoire caudale et vit les coteaux où grimpaient les vignes. Elle ondula pour virer vers l’ouest à la recherche des eaux froides. Elle dépassa la ville noire en se glissant au fond du fleuve pour ne pas tousser puis continua entre les falaises rocheuses et, au matin, découvrit le lac.

De plus en plus inquiète, elle en fit le tour. Le vieux pêcheur était là, près de sa femme, assis sur une chaise la jambe, gainée dans du plâtre, posée sur un tabouret.

Elle sauta plusieurs fois comme pour attraper le ciel. Le vieil homme la vit aussitôt tant il pensait à elle. Il s’appuya sur sa canne de bois, se releva et, soutenu par sa femme, courut en claudiquant jusqu’à la rive. Comme il était heureux !

Il présenta la baleine à son épouse et tous trois se mirent à converser, comme tous les amis.

Ils parlèrent tant et tant que la nuit les surprit, puis le matin et puis un autre jour. Ils avaient tant à se dire, l’amitié est ainsi. Les mois passèrent puis les saisons. La baleine vit la neige tomber et couvrir les sommets. Elle goûta les poissons de lac. Le vieux pêcheur s’était remis de son accident et il accompagnait son amie partout. Elle lui parla de ce qui vivait en dessous et des eaux froides du glacier qui ne se mêlent jamais aux eaux du lac mais filent vers le delta.

Baleine 16De temps en temps, elle soufflait et créait ainsi une longue colonne d’eau verticale qui s’élevait comme une prière pour remercier le ciel de les avoir réunis.

Depuis le vieux pêcheur est mort et la baleine a disparu. Mais les habitants, reconnaissants de tout ce qu’elle leur avait appris, grâce à son amitié avec le pêcheur, sur la mer et ses habitants, sur le lac et ses secrets, inventèrent une machine pour penser à elle. Au bout de la jetée des Eaux-vives, cette machine propulse nuit et jour une immense colonne liquide, dirigée vers l’azur et parfois, après la pluie, on peut y voir un magnifique arc-en-ciel.

Ajouter un commentaire