Magiciennes ACTE 2
ACTE 2
Magiciennes
élégie en trois chants
par Françoise CONTAT
TEXTE INTEGRAL
PERSONNAGES
Pichale, magicienne, gardienne de la source des mots (des maux).
Isoléa, sa fille, née d’une union avec un mortel.
Soma, nain difforme serviteur de Pichale (frère jumeau d’Isoléa).
L’esprit de la source, personnage magique assexué.
ARGUMENT
Premier chant : Pichale et sa fille vivent avec leur serviteur Soma, dans une tour ascenseur, à l’abri du monde des hommes. Pichale, magicienne des mots a été chargée de surveiller, montagne de Nada, la source des mots, que le dieu Parole a offert aux hommes. Isoléa, a été élevée chez les mortels par son père. A son décès, elle est venu vire avec sa mère. Elle est partagée entre le désir de devenir magicienne comme sa mère et celui de retourner chez les hommes pour connaître l’amour. Toujours solitaire, elle croit sombrer dans la folie.
Deuxième chant : Un jour la source des mots se tarit et la parole se retire de la bouche des hommes. Pichale, pour garder sa fille près d’elle, a stoppé la fuite du temps. Cet enchantement lui en interdit tout autre. Pour être fidèle au dieu Parole et venir en aide aux hommes, Pichale va devoir pratiquer la magie. Elle annule l’enchantement du temps et cela lui coûte la vie.
Troisième chant : La source des mots se remet à couler. Les hommes se parlent et se comprennent à nouveau. Isoléa, désespérée d’avoir perdu sa mère, s’enfuit de la tour ascenseur. Soma la retrouve. Elle revient prendre sa place. Elle est née magicienne, son destin s’accomplit.
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DEUXIEME CHANT
SCENE PREMIÈRE
La source des mots est tarie
L’ESPRIT DE LA SOURCE
L’ESPRIT DE LA SOURCE
La source est tarie. Plainte de celle qui ne coule plus, qui est vide.
Les mots ont déserté ma bouche trop béante.
Je les appelle en vain, je les supplie parfois.
Le silence répond à ma plainte insistante
Comme un écho perdu de mon âme aux abois.
Je les ai tant aimés que ma haine en est forte.
Ils se sont modifiés, cachés, enfuis, perdus.
Ils m’ont abandonnée, sont partis en cohortes
Qui fuiraient l’ennemi avant de l’avoir vu.
J’ai gardé près de moi ma force didactique
Stérile indépendance face à leur abandon
Car ils ont laminé mon discours sémantique
Élevant ma détresse au pied du Parthénon.
Je les haïrai donc de ma force vitale.
Ils se sont refusés, qu’ils nourrissent l’enfer !
Je ne coulerai plus que la mousse de l’ale
Enivrant le buveur, rendant son souffle amer.
Des mots en ombres chinoises, projetés par un directionnel, passent devant elle
Narguez-moi, une fois, encor, que je vous traque.
Passez ainsi vantards, devant mon trou croupi
Opulents, différents, mon regard est opaque
Mais je sais vous attendre au marais de l’oubli.
Jouez, courez, dansez, sur musiques grossières
Scandées par des bravos. Vous ne durerez pas.
Vos pères ont rêvé de ces vies de lumière
Ils dorment maintenant
Elle fait un geste côté jardin
dans le sable à deux pas.
Avec facilité, fourberie ou finesse
En joutes futiles, vous vous croyez soldats.
Vous grisant d’un exploit qui pourtant vous abaisse.
Car vous gaspillez là vos armes de combat.
Je connais tous vos plans, j’ai déjoué vos ruses
J’ai prévu vos pièges, appris vos mutations.
Êtres immatures qui brisent leurs écluses
Comportement de sot, vous n’êtes que des pions !
Elle descend du rocher
Pichale fermement vous maintient de sa bride.
Vous ne soupçonnez pas la cuisante douleur
Que la déformation peut en gravant des rides
Provoquer. Modérez vos hurlantes ardeurs.
Vous plierez sous le joug car elle manipule
Depuis bien trop longtemps vos frères incestueux.
Même emplis de passion en lettres majuscules
Vous porterez le mors, deviendrez vertueux.
Elle remonte sur le rocher lentement
Vous allez obéir et je rirai aux larmes !
Vous serez tous domptés, vous serez à genoux,
Et reprendrez soumis, dans un joyeux vacarme,
La place de jadis au creux de mes remous.
Elle se réinstalle sur la source
J’attends votre retour.
Debout
Allez, Magicienne !
De par les éléments, fais montre de ton art !
Lie les hommes entre eux, de ton chant de sirène !
Doucement, pour elle même
Je souhaite que pour toi il ne soit pas trop tard.
NOIR
1er coup de semonce
Comme au départ d’un feu d’artifice
SCENE DEUX
La quête de l’impossible
SOMA-PICHALE
Ils entrent comme ils sont sortis, la conversation continue. Apparaît progressivement une autre partie de la grotte. Des livres par centaines : sur les murs, sur le sol. Pèle mêle des journaux, des revues, des bandes dessinées, des magazines.
SOMA
Pourquoi est-ce aujourd'hui, maîtresse que l'eau douce
A cessé de couler montagne de Nada
Rien n'a pu perturber le soleil dans sa course
Zeus n'a pas caressé les plumes de Léda.
PICHALE
La source s'est tarie du manque d’éloquence
Qu'ont les hommes entre eux et envers leurs enfants
Son débit est fragile et subit l'influence
Du flux et du reflux de leurs égarements.
SOMA
Cela est arrivé, déjà, au cours des siècles
Avez-vous réagi, tremblé, pleuré ?
PICHALE
Jamais....
SOMA
Les mots se sont cachés, ont déserté les textes
Les avez-vous punis, gommés ?
.PICHALE Je sais …
Cent fois l’eau a failli se perdre dans la terre
Cent fois un juste a su la faire rejaillir.
Elle s’est écoulée dans la joie, la misère
Apportant chaque fois le don de reverdir.
Elle coule si loin quand le sol qu’elle irrigue
Économe vestale accompagnant son pas
(Contrainte par la soif)
La guide vers le “moi” vers l'inconnu du vide
Apportant au Désert la force d’un Mantra
Elle irrigue partout grâce à mille veinules
Tout le tissu humain qu'a force elle a acquis
La plus fine goutte, la plus simple formule
Fait une tâche d'huile en ceux qu'elle a conquis.
SOMA
Alors pourquoi ce jour différent de tout autre
Ils n’ont pas dérapé aujourd’hui plus qu’hier
PICHALE
Énée a embarqué avec les Argonautes
Je ne sais de quel air est constitué l’éther
Ils n’ont pas su gérer l’écart hypersensible
Qui se creusait parfois entre deux locuteurs
Aggravant la fracture et rendant impossible
L’écoute qui nourrit le langage des cœurs
Un mot aurait suffi parfois pour tout conclure
Mais ils ont refusé le plus petit effort
N’ont pas voulu chercher de nouvelles moutures
Qui par choix judicieux porte le réconfort.
Trois cents mots pour parler, rêver, aimer peut-être
Suffisent à présent de minimum verbal
Le langage se meurt ses boucles s’entremêlent
Ils ont déjà tissé un écheveau fatal.
SOMA
Maîtresse, oubliez l'idée qui vous tourmente
Vous avez tout à vivre, un nouveau jour est là,
Partez, changez de vie, je vous sens hésitante
Abandonnez le droit d’exercer tutorat.
PICHALE
Je ne peux refuser le destin qui me pousse
À faire de ce jour celui de mon trépas
Laissons agir la mort, elle sera si douce
Qu’indifférente je (jeu) ne la sentirai pas
SOMA
Il ne semble pas comprendre mais est pris de frayeur. Il l’enlace à la taille, elle le repousse, il fait glisser ses mains le long de ses jambes depuis ses hanches jusqu’à ses pieds
La porte peut s'ouvrir, elle n'a pas de givre
Une simple poussée et le monde est à nous,
Abandonnez les tous, et brûlez le grand livre
Une simple poussée, je suis à vos genoux !
PICHALE
Elle se dégage, il la laisse partir
Si grandiose soit le théâtre terrestre
Si limpides les eaux au glacier d'un torrent
Jamais je n'y verrai qu'un vil décor rupestre
Bien loin de ce qui est mon quotidien tourment.
Si immense le ciel éloigné des étoiles
Le reflet du soleil naissant sur un névé
Le calcaire en cristal où s'étirent les voiles
Ne me donnera ce dont mon cœur a rêvé.
SOMA
Il s'approche d'elle
Ma dame qu'avez-vous votre voix se lézarde.
PICHALE
J'aurais voulu marcher au sable du désert
Connaître la pépie être sous sainte garde
Quand Moïse fendit de ses deux bras la mer.
J'aurais voulu pouvoir, cachée dans la métope
Tel rayon de soleil, recueillir en mes mains
Le pinceau de Daï Fu, la tunique d'Esope,
L'oreille de Van Gogh, le bâton de Merlin.
SOMA
Il la soutient et l'approche d’un large fauteuil qui vient à leur rencontre.
Asseyez-vous ici, mon soutien est bien mince.
PICHALE
Elle lui prend les mains et parle le regard perdu dans le vague.
Mériter Maître H’u (= eau) province du Kinghaï
Respirer près de lui la fleur du petit prince
Vivre à Machu Pichu. Construire des Moaï.
Il l'assoit de force, elle le regarde
Soma l'inerte a bien plus que moi de mérite
Telle : la touche noire au piano de Gainsbourg,
Les sandales de Brel, posées devant son gîte,
De Férré, de Brassens, les pavés des faubourgs.
Quelques poils de martre glissant sur une toile
Sous le ciel de Provence éternel en l'instant.
Un fin stylet gravant sur la pierre du voile.
Une corde au violon d'un génie de six ans.
Comme un être de sang si j'avais du mérite
J’aurais agi plus haut, plus vite et plus profond
Avec des arguments ou des troupes d’élites
Pour éventer complots, par lame de haut fond.
J'aurais dû menacer, qui dessina le monde
Les deux tiers au-dessus et un tiers au-dessous,
Pour le forcer à mettre en cette boule ronde
Horizontalement les pôles aux deux bouts.
Ainsi la ligne qui tourne autour de la terre
Celle qui la partage en hémisphères creux
Serait la roue traçant dessus l’antimatière
Un chemin rayonnant d’équilibre précieux.
J'aurais aimé pouvoir être un oiseau sauvage.
Survoler l'Inutile acquis par les humains.
Dormir au creux du ciel, y lustrer mon plumage
Et suivre, au fond des mers, le cormoran au bain.
J'aurais pu vire ainsi bien loin de ma personne
Ou du moins en nier le masque du héraut.
Être une molécule, Soma, un atome
Qu'un Sisyphe bousier ne roule pas trop haut.
SOMA
Votre pouvoir aurait fait de vous la première.
PICHALE
Mon pouvoir n’en croit rien, il ne m'appartient pas.
Je n'ai qu’à regarder le monde et sa lumière
Elle brille devant. Je suis ombre à ses pas.
Elle se lève. Du fond de la scène arrive une estrade composée de neuf marches. Sur la dernière marche est posé un pupitre et sur le pupitre un vieux livre jauni.
SCENE TROIS
L’enchantement du temps
PICHALE - SOMA
Elle s'approche de l’estrade. Grimpe les marches et regarde le livre fermé posé sur le pupitre. Elle a toujours son bâton à la main
PICHALE
Soma, il est grand temps que je cède la place,
Les signes sont gravés au livre de l’autel
SOMA
Mais Maîtresse pour que l’incantation se fasse
Vous devez annuler l’enchantement actuel.
Un temps
Le temps se vengera. Il reprendra sa course.
PICHALE
Je sais. Les ans que j’ai stoppés en ce château
Vont demander rançon. J’ai préparé ma bourse
Et donnerai tribut à ces vilains pourceaux.
Elle ouvre le livre, lève son sceptre pour commencer l’incantation
Oh instants précieux, minutes de silence,
Secondes qui parfois durent l’éternité
Heures fugitives, années d’existence
Cessez, car je le veux, votre immobilité !
Venez années d’espoir, jours bénis, jours de fête
Minutes pour la joie et semaines d’enfer
Mois de deuil où le temps, indifférent, s’arrête
Moments doux, Moments forts, lacérés au cutter.
À moi jours de ma vie, reprenez votre compte,
Si je vous ai stoppé voilà bientôt dix ans
Je vous rends liberté et vous donne en acompte
Ces dix années passées auprès de mon enfant.
On entend le tic-tac d’un réveil comme des pas dans la grotte.
SOMA
Maîtresse, écoutez, le temps reprend sa marche.
Un éclair zèbre le ciel (il faut surprendre le spectateur)
PICHALE
Elle se plie en deux en hurlant
Oh ! Soma ! La douleur ......
Le tribut est trop grand
Mon dos hier si droit se courbe comme une arche.
Tous mes os me font mal. Je sens le poids des ans.
Elle tend ses mains vers lui
Regarde mes deux mains, elles se tachent d’ombre
Elle passe ses mains sur son visage
Mon visage brûle
Elle tourne sur elle même en descendant les marches
La charrue creuse en moi
Des sillons temporels. Je les crois en surnombre.
Elle s’adresse à l’invisible.
Il n’y a que dix ans !
Vous n’avez pas le droit !
Elle se tient la gorge.
Mon souffle devient court, l’oxygène me manque
Elle se met à trembler
Mon sang gèle. J’ai froid.
Elle s’effondre sur les marches. Soma la couvre d’un châle qui était sur le fauteuil.
L’hiver est dans ma peau.
Mon corps est engourdi.
SOMA
Vous êtes métacentre
Larme de royauté donne peau de crapaud.
(L’eau apporte la vie, le crapaud est vecteur de vie par son chant d’où sa fonction de roi) Un temps
Reposez-vous un peu.
Ils restent silencieux un moment. Soma va chercher une boisson fumante. Il la donne à Pichale. Elle boit et semble aller mieux.Quand elle se relève tout chez elle a changé: Sa démarche, son allure, sa voix.
PICHALE
Reprenons notre tâche
L’outre à mots est là-bas,
Elle désigne un cocon de papillon géant suspendu
Va donc me la chercher.
Il faudra, après ça, ici, que tu détaches,
Les fils avec lesquels les mots seront liés.
Car un mot seul n’est rien, il lui faut une phrase
Pour exprimer tout ce dont on le veut parer
SOMA
Est-ce qu’il vous faudra : des chaînes, des cordages?
PICHALE
Mais non, tous les oiseaux aiment la liberté.
Elle se prépare.
Puissances du cosmos, j’en appelle à votre aide !
Venez à moi, vous tous : Alpha et Oméga
Dessins, signes et mots, lettres de A à Z(zède)
Ici je peux donner vie à votre Saga.
Elle est prise de vertige.
SOMA
Il l’arrête, la force à baisser les bras. Ses yeux sont baignés de larmes. Il a beau ne pas savoir que c’est sa mère, il souffre de devoir la perdre.
Maîtresse par pitié, cessez votre prière
Taisez les mots porteurs de cette incantation
Vos lèvres vont geler près des marches de pierre
Reculez le délai de cette passation.
Vous avez toujours dit qu’il faut pour toute chose
Un temps pour y penser, un pour l’avènement.
Vous êtes épuisée. Moi l’esclave en osmose
Vous prie de différer l’enchantement suivant.
PICHALE
Tu as raison Soma, tu m’apprends la patience
Les hommes pourront bien et ce n’est pas plus mal
Attendre quelque peu le retour de mes stances
Viens,
Elle passe sa main sur son épaule
Prenons du repos,
Ils s’éloignent
Ceci n’est que normal.
NOIR
SCENE QUATRE
La notion d’oubli
PICHALE – SOMA – L’ESPRIT DE LA SOURCE
Il ne reste que le lit au milieu de la scène. Pichale est couchée. Soma dort sur le lit à ses pieds, roulé en boule comme un chien. Musique contemporaine métallique, voix off. Il va falloir que la situation devienne de plus en plus oppressante tout au long de la scène.
SOMA en voix off
Oh, vous tous, regardez, la femme solitaire
Qui chercha sans faiblir, tout au long de sa vie
Les sept vallées perdues qui bornent le mystère
Où ne cesse de soudre une question : l’oubli.
Laissez-vous emporter vers cette plénitude
Cette illumination, ce tout, ce nirvana
Ce vide-plein, ce bleu, ce pic d’incertitude
Cet entier, cet espoir, en disant hosanna !
L’ESPRIT DE LA SOURCE en voix off
La première vallée s’étend de vue à perte
On appelle ce lieu : l’océan de l’amour.
Il faut vous y baigner ; c’est une découverte
Et vous ne pourrez plus vous en passer un jour.
La seconde vallée est faite de souffrances
Elle exige labeur, sueur, bosses et plaies.
La descente se dit : Le puits de connaissance.
La montée est lestée des fruits de ses attraits.
Celle qui vient après en caractéristiques
N’a rien d’une vallée. On la passe en l’instant
Si l’on sait accepter les forces chaotiques
Et nous la nommerons : La porte du néant.
Ensuite il vous faudra des heures, des semaines
Pour traverses le val d’un gigantisme inouï
Où pas un souffle d’air ne soulève une graine
Vous le reconnaîtrez : Le désert de l’ennui.
Bientôt vous n’aurez plus : ni désirs, ni envies
Et resterez planté comme un arbre qui meurt
Par l’indicible peur, qui vous aura saisie
Face à la redouté : Falaise de stupeur.
Il vous reste un endroit avant de voir le centre
Des cercles imbriqués : Le gouffre de la mort.
Nul ne ressort entier du passage en son antre
Et chacun pour cela laisse faire le sort.
Ainsi vous entrerez en plein cœur du Mystère
Et vous entendrez tous la source de l’oubli.
Alors vous y boirez de diverses manières
Chacun selon son goût, sa sagesse ou son prix.
Car il faudra payer.
PICHALE
Elle se réveille, s’étire.
J’ai rêvé de montagnes.
SOMA
Il se réveille aussi
J’ai rêvé de vallées.
PICHALE
J’ai rêvé de déserts.
J’ai rêvé......
SOMA
D’océans et de rases campagnes
PICHALE - SOMA
J’ai rêvé du ciel pur que j’ai vu entrouvert.
NOIR
Deuxième coup de semonce
SCENE CINQ
Les onze dilemmes de la communication - Le discours
PICHALE - SOMA - ISOLEA
PICHALE
Es-tu prêt, en ce jour, petit homme gracile
A t’acquitter de ce que je réclamerai
À te laisser porter, toi l’aliéné docile
Vers le vide cerné par les liens de l’abstrait
SOMA
Je suis prêt à ce que l’oubli demande grâce
De n’être utilisé qu’avec peu de crédit
Les mailles du filet de mon esprit fugace
Ont tant laissé passer d’images et de bruits.
Il s’approche d’elle.
PICHALE
Elle lui touche la tête
Ton esprit se construit les mailles se resserrent
Les liens jadis brisés vibrent sous l’impulsion
Du désir retrouvé en l’émotion première
Nous allons à présent opérer la fusion.
Un temps
Puissances du cosmos, servez-moi en fidèles
Venez à moi vous tous, Alpha et Oméga
Dessins signes et mots, lettres de A à (Z) zède
Je vais enfin donner vie à votre saga
Viens Soma, construisons des mots et puis des phrases
Que la réalité prenne corps en ce jour
En nommant le présent, en partant de la base
Nous recomposerons l’essence du discours.
Sais-tu que chaque année, cette roche affective
À préservé son bien. -Les Dieux ont tout prévu-
Les citernes remplies retiennent l’eau captive
Elles sont si gonflées que le roc est fendu.
Approche la paroi vers la grande striure
Je crois qu’il y a là nature à nous ravir
Une larme a coulé de la plaie, sa capture
Va par sa lumineuse clarté nous servir.
Il reçoit dans ses mains jointes l’eau ou un objet lumineux et l’apporte à Pichale.
Donne-moi cette vie que j’en abreuve l’outre.
Elle la prend dans ses mains et la verse dans l’outre.
Elle avait soif, écoute, elle bénit ce jour.
Décroche donc les liens attachés à la poutre
SOMA
Décroche des longs fils de lin, de chanvre ou de laine, suspendus à des crochets au mur ou à une poutre.
Vous avez dit des liens, en faudra-t-il toujours ?
PICHALE
Il faut surtout beaucoup d’amour et de prudence
Pour délier les nœuds et retendre le tout
SOMA
Jetant les liens à terre
Alors tant pis ....
PICHALE
Elle le regarde
Comment ?
SOMA
La lice d’éloquence
N’a qu’à rester mêlée. (ou fermée).
PICHALE
Un sourire
Soma ne soit pas fou !
Elle tient l’outre fermée
Nous devons contrôler la prise de parole
Sans trop stériliser les échanges verbaux
L’outre bouge
Si l’être spontané danse farandole
Tu dansera aussi, comme frère jumeau.
Elle ouvre l’outre par petites saccades. À chaque fois un mot en sort projeté par le directionnel. Ou alors elle prend un mot dans l’outre et va l’accrocher dans le décor. Elle passera cette fonction à Soma pour la suite de la scène. Car elle va attraper des fils dans le décor, les dérouler et les tendre en travers de la scène. Elle va tisser ainsi une gigantesque toile d’araignée dans le fond du décor qui va créer le mot ETRE. Premier fil (en fait c’est le second dilemme)
Il nous faut ménager une équité certaine
En préservant les uns et les autres aussi
La blessure du jeu, laisse place à la haine
Le choc social parfois en est pour nous le prix
Deuxième fil
Il nous faut respecter les formes du langage
Et garder pur l’art de la communication
Sans réduire au silence ou offrir en partage
Prudentes réponses et banales questions
Troisième fil
Il nous faut très souvent valoriser d’extrême
L’expression ouverte et honnête des valeurs
Des ides, des pensées, sans dénier de même
Le choix d’enjoliver, de mentir, d’être acteur.
Quatrième fil
Il nous faut faire entrer la vie dans la structure
Sans attenter ainsi au domaine privé
Sans exposer aux coups, sans ouvrir des blessures
Sans mettre en grand péril les êtres impliqués.
Elle tire toujours des fils. Cinquième fil
Il nous faut prendre garde au danger en instance
D’aseptiser l’écart entre les locuteurs
En vidant le discours de toutes références
À la vie, à ses joies, ses conflits ou ses peurs.
Sixième fil
Sans pour cela porter sur la première ligne
Celui par qui le jeu verbal a commencé
Car c’est parfois bonheur de braver la consigne
Mais le risque souvent est d’être sanctionné
Septième fil
Comment ne pas, par pudeur ou par crainte,
« Euphémiser » la part du dangereux pouvoir
Sans mettre dans l’instant, en cause et sans feinte,
Le meneur de la joute et aussi son savoir
Huitième fil
Comment donner alors les outils d’analyse
Et les éléments pour, la négociation
Sans être la cible des flèches de la crise
Jetées par tant de pairs jouant l'autogestion
Neuvième fil
Il nous faut impliquer dans le projet unique
Tous les esprits ensemble et en faire un seul corps
Sans les priver du droit oh combien artistique
De parler, bavarder et frôler les débords.
Dixième fil
Il nous faut faire place à celui qui enseigne
Aux représentations qu’il porte au fond de lui
Sans laisser circuler d’erronés théorèmes
Qui grâce à son pouvoir lui donneraient crédit.
Onzième fil
Comment autoriser chacun à parler d’âme
Sans faire trembler la, pierre d’achoppement.
Relativisme froid ou noir obscurantisme
L’erreur travaille bien, mais porte le tourment.
Douzième fil
Sans que tout l’entretien ne tourne à la farce
L’interactive construction des savoirs
Devra y occuper un suffisant espace
Tout en modélisant l’effet de déversoir.
Treizième fil
Comment canaliser tout acte didactique
Sans créer de ce fait un labyrinthe noir
Le fil d’Ariane attend le seul guide héroïque
Qui saura le tirer en fonction des devoirs.
Quatorzième fil
Il nous faut dégager une petite place
Celle de la méta communication
La recherche de sens, parfois devant la glace,
Sans en déstabiliser l’institution.
Le mot ETRE est formé
SOMA
Maîtresse vous avez énoncé les dilemmes
Les fibres sont tendues, le mot en est construit
Cela suffira-t-il pour mener à son terme
L’enchantement complet ?
PICHALE
Je l’espère petit.
Elle s’allonge sur le sol sur le dos. Il s’accroupit, soutient la tête de Pichale et la pose sur ses genoux. La lumière descend.
SCENE SIX
Résistance à la folie - La passation de pouvoir
PICHALE - SOMA - ISOLEA
On entend le bruit de la lourde porte qui cède. Isoléa apparaît (en magicienne) entourée d’un halo de lumière.
ISOLEA
Courroucée
J’ai dû user ce jour de tous mes artifices
Pour ouvrir une porte en ma propre maison
Qui a osé fermer l’accès à l’édifice
Dont je jouis à loisir ?
Elle voit le visage de Soma au-dessus des livres, qui jonchent le sol.
Est-ce toi nain félon ?
Elle contourne l’obstacle pour se rapprocher de lui et aperçois sa mère sur le sol. Elle se précipitte.
Ma mère qu’avez-vous ?
Elle s’agenouille
PICHALE
Dans un souffle
Je me meurs, ........... ma fille
ISOLEA
Qui a osé ?
SOMA
Le temps.
PICHALE
Je l’avais courroucé
ISOLEA
Elle prend le visage de sa mère dans ses mains
Vos yeux semblent ......
PICHALE
Usés ?
SOMA
C’est le port de lentilles
Ou les larmes que trop souvent elle a versées.
ISOLEA
Elle lui prend les mains
Vos mains sont si ......
PICHALE
Plissées ?
SOMA
C’est d’avoir chaque année
Écrit tant de prénoms liés à tant d’enfants
ISOLEA
Je voudrais dire ......
PICHALE
Bien sûr!
SOMA
L’ouïe comme la cornée
Garderont les secrets de chaque être vivant.
ISOLEA
Elle écarte Soma et avec violence la soulève, la secoue.
Vous ne pouvez partir, je ne sais rien encore
Du travail de l’esprit qui augmentent le tout
De la médiation qu’injustice perfore
De l’information disponible partout.
PICHALE
Fatigué, elle semble reprendre vie.
Nous agissons parfois envers la particule
De même elle nous plie à son juste vouloir
L’interaction des corps joue dans la multitude
Qui prétend orgueilleux connaître le perchoir
Sur lequel Dieu repose ?
ISOLEA
Rois, tyrans, Saints, ou sages
Savants, chercheurs de lois, quelque maharaja ?
PICHALE
Perchée sur son trépied, la Pythie le présage
Depuis que l’Apollon du python se vengea.
Tout ce que nous faisons et tout ce que nous sommes
N’est qu’un reflet tremblant, incertain, subjectif
À la surface floue de l’eau aériforme
De la réalité.
ISOLEA
Nous sommes créatifs !
Ou, telles nos idées, nos pensées préexistent ?
PICHALE
Platon nous a dicté que l’animal craintif
Au cœur de la cave (erne) ne voyait seulement
Que l’ombre du réel
SOMA
Oh cri définitif !
L’artiste a survécu.
ISOLEA
À part
Alors toute une vie
De sentiments tissés par chanteur de tapis
Aveuglé par un roi, dans l’angoisse infinie
À écouter un Coq pour ouïr un ami. (Saint Pierre)
Petit éclat d’étoile en ce lieu étincelle
Cette tant vieille tour, du Maure de Motour
Étouffe tous mes cris dans le froid qui la gèle
L’airain ne sonne plus le doux retour du jour. (cloches)
Pichale réalise que sa fille aussi a vieillie.
PICHALE
Viens plus près, mon enfant, il me reste à te dire
Un secret précieux
Isoléa, s’accroupissant, approche son visage de celui de sa mère
Sous le pas de l’enfant
La poussière au soleil levée grâce à son rire
Est le reflet vivant du noir du firmament. (Trous noirs)
Les étoiles sont là à portée de lumière
Il suffit pour les voir de savoir où chercher
Les fées te guideront vers la verte clairière
Si à la main tendue tu sais te rattacher.
Mon régiment est prêt, j’en suis le nouveau guide (Buzzati)
À ton tour de mener les hommes assoiffés
Médée m’a apporté le char doré d’Ovide (Les métamorphoses)
Je te laisse ma force au ciel décomposé
Pichale fait un geste magique
Ma force dans tes bras sera une fontaine
Ma tête dans ton âme à corps (accord) désaccordé
La ville se construit sur des ruines urbaines
Le duel permanent est virtuosité
Ainsi que le Phénix qui renaît de ses cendres
La vie sans transition passe de nous à nous
L’éternité est là, c’est elle qui engendre
Notre part de divin scellée de quatre clous.
Va, va mon adorée, tu ignores ta force
Personne n’a porté plus lourd que de raison
Tu marches dans le ciel, abandonne l’écorce
Qui pèse sur ton dos, tes ailes s’ouvriront.
Laisse faire les ans, ce sont des camarades
Ils s’apprivoisent bien pour qui sait les aimer
Ils ne surprennent pas. Comme perles de jade
Ils te feront au cou le plus doux des colliers.
Le serpent de l’Eden en soudaine écriture
D’un parafe profond a creusé notre front
Plusieurs fois, mais sa marque future
N’est rien........
Elles se regardent, Pichalle caresse la joue de sa fille
SOMA
Une onde colorée passe de Pichale à Isoléa Le sang fait transfusion.
SCENE SEPT
Mort de Pichale
PICHALE - SOMA - ISOLEA
PICHALE
Une musique de fond serait la bienvenue
Ma bouche tôt cachée derrière trop de silences
Assassine les mots qui glissent entre mes dents
Et ne laisse échapper Que la triste mouvance
De sons entremêlés par le mal des ardents.
ISOLEA
Ma bouche qui s’est tue boit les mots que tu donnes
Semence parfumée par qui naît la beauté
Noyaux incandescents aux ondes qui résonnent
Et se figent bientôt en croûtes de papier.
PICHALE
Mes yeux ne captent plus la précision des choses
Ils se laissent engluer par l'horizon lointain
Effleurent doucement l'aile du flamant rose
Fixent sans voir le ciel qui brûlera demain
SOMA
Mes yeux ne voient que vous en dernier artifice
L’iris en est gravé qu’ils soient ouverts ou clos.
Même masquée de soie, l’implacable injustice
Qui agit, en ce jour, me glace jusqu’aux os.
PICHALE
Mes oreilles ont perdu le tenu fil interne
Capteur fin et secret de mon âme qui dort
Pour créer un son pur tel le cri de la sterne
Abordant en vainqueur de ses ailes le port
ISOLEA
J’entends ton dernier souffle, il inonde la salle
La réaction chimique entraîne un champignon
Atomique, mortel, dont la vapeur s’étale
Bien au-delà des murs constellés de béton.
PICHALE
Je ne sens plus l'odeur de la vanille chaude
Le parfum caressant de l'iode du grand bleu
Dans les boîtes de fer scellées d'Harold et Maude
Les senteurs capturées sont un suc venimeux
SOMA
Le parfum de la mort plane sur l’assistance
Chacun pleure en secret un être disparu
Osons porter à Dieu toutes nos doléances
Malgré l’immensité du danger encouru
PICHALE
Seule ma main encore à contact à la terre
Je ne suis plus ainsi qu'un insecte rampant
Cherchant un dé-baiser (Peter Pan)
près des arbres de pierre (disney land)
Pour te recoudre enfin ombre de Peter Pan.
ISOLEA
Elle met le bras de Pichale autour de son cou
Je retiendrai ton bras autour de mes épaules
Il glisse
Elle l’attrape par la taille et lui relève la tête
Je garderai ton corps en la même affection
Il glisse. Elle lui tient le bras
Que tu m’offris un jour ...
Il glisse. Elle retient sa main
SOMA
Vois, son âme nous frôle
ISOLEA
Elle crie, ou pas !
Ne te retire pas .....
SOMA
Il dégage doucement Isoléa du corps de sa mère
Le poids de la raison.
La main s’échappe les doigts s’ouvrent. Sur le sol roule un dé de couturière. Isoléa le regarde terrorisée. Elle s’adresse à lui comme à une personne
ISOLEA
Debout, elle le regarde.
Déambule : destin, dépasse, débarrasse
Dérisoire denier, déraisonnable don
Débile devoir, bouge,
Isoléa va donner des coups de pied dans le dé comme un enfant qui joue avec une boîte de conserve.
avance, déplace
Ton masque, éloigne cette décision.
Débauche, détritus, déguisement, déboires
Décor pour déporté, dépit à déverser
Dernier désordre, défonce transitoire
Dégoût, déflagration ...... deuil désaccordé
Désir inassouvi de déchet d’hypothèse
Démarche programmée par délit délicat
Début de débâcle ou refus d’antithèse
Mais désarmant déclin et départ sans débat
Dégât démesuré, démence de Dédale
Désespoir debout ! défit démystifié
Dette dévorante à bouche de crotale,
Destinée je te hais !
Elle s’enfuit côté cour
SOMA
Les dés (l’aider) en sont jetés.
Pichale couchée sur une plaque de plexiglas s’élève vers le ciel. La lumière monte avec la morte.
FIN DU DEUXIEME CHANT
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